Le théâtre de la peinture

Pier Luigi Pizzi présente sa collection au Musée Fesch

Le Journal des Arts

Le 9 juin 2000 - 741 mots

Le goût de la théâtralité et de la rhétorique, que l’on prête aux artistes des XVIIe et XVIIIe siècles, ne pouvait laisser indifférent un metteur en scène et décorateur d’opéras aussi sensible à la culture baroque que Pier Luigi Pizzi. Associée à une évocation de son travail, la présentation de sa collection de tableaux, au Musée Fesch à Ajaccio, rapproche peintres et scénographes, unis dans un même souci de l’espace et de l’étude du corps.

AJACCIO - “C’est lors de l’exposition “Seicento” à Paris [1987] que Pier Luigi Pizzi a découvert cette peinture”, explique Jean-Marc Olivesi, le conservateur du Musée Fesch. Une rencontre pour le moins tardive si l’on se rappelle que “Pizzi est le dernier grand scénographe qui maîtrise à ce point la culture baroque et a accompagné toute la redécouverte de l’opéra baroque”.

La rhétorique des gestes, l’expression des passions et le souci constant de la mise en scène ne pouvaient que séduire l’homme de théâtre, imprégné de la culture des XVIIe et XVIIIe siècles. En une dizaine d’années, il a réuni une collection de tableaux, essentiellement italiens, de premier plan (Giordano, Crespi, Cairo, Codazzi, Valentin, Giaquinto), bénéficiant à l’occasion des conseils avisés de Mina Gregori ou Maurizio Fagiolo Dell’Arco. En parallèle à une évocation de son travail (Les Indes galantes, Sémiramis…), une grande partie des œuvres de sa collection est présentée aujourd’hui au Musée Fesch, dont “certaines toiles présentées dans “Seicento” ont peut-être suscité cette vocation de collectionneur”.

“Tous les grands peintres de cette époque ont une culture scénographique, et les scénographes sont souvent des peintres. Comment dès lors la scénographie peut-elle nous apprendre à voir la peinture, et qu’est-ce que la peinture nous apprend sur la scénographie ?” interroge Jean-Marc Olivesi pour résumer le propos de cette exposition. La plupart des grandes créations du maestro évoquées en introduction étant antérieures à ses débuts de collectionneur, on chercherait en vain une interaction directe entre peinture et mise en scène. De plus, les Saint Sébastien et autres Amours sont pour le moins dépourvus de costumes ! En revanche, si “le vrai collectionneur est celui qui transfère aux œuvres d’art qu’il recherche, comme à celles qu’il possède, sa culture, ses goûts poétiques et littéraires, et jusqu’à son “métier”, comme l’écrit Antonio Paolucci, alors ses tableaux révèlent une singulière cohérence. De même que les vues d’architecture nourrissent la réflexion sur l’espace et la lumière, la suite des Saint Sébastien, par la multiplicité de leurs attitudes, n’a pu laisser indifférent le metteur en scène d’opéra, toujours en quête du geste juste et éloquent. De la même manière, le Noli me tangere du Florentin Marco Balassi semble “très opératique” à Jean-Marc Olivesi.

Classés du côté de l’opus sacrum, ces Saint Sébastien, méditations plus ou moins libres de la leçon caravagesque, composent une ode enflammée à la beauté du corps masculin, au parfum plutôt profane. Autour d’un Saint Sébastien soigné par Irène, attribué au Maître à la chandelle, dont la manière synthétique avait un temps appelé la comparaison avec Georges de La Tour, le jeune martyr, entre les mains de peintres comme Luca Giordano, Giuseppe Maria Crespi, Pietro Della Vecchia ou Antonio De Bellis, passe d’une noble élégance à une douce mélancolie, d’une extase mystique à une insoutenable douleur. Perdu parmi ces Sébastien, le Saint Jean-Baptiste à la fontaine de Valentin de Boulogne, avec son air éméché, apporte une note triviale à l’ensemble.

La beauté et la souffrance
Face à eux, le Martyre de sainte Agnès, de Francesco Del Cairo, cultive la même dialectique ambiguë de la beauté et de la souffrance, dans une image d’une incroyable cruauté. Une Judith, du même artiste, baignant dans un clair-obscur aux effluves tout aussi vénéneux, lui fait écho dans la troisième salle consacrée à l’opus profanum. Sous le regard malicieux de L’Amour vainqueur, dérivé de celui de Caravage conservé à Berlin, l’accrochage décline toutes les figures de l’Amour, de ses acceptions les plus spirituelles (L’Amour divin) aux plus immorales (Joseph et la femme de Putiphar). Une Vénus punissant l’Amour achève de donner à la femme le mauvais rôle.

Naturellement, le maestro a lui-même mis en scène l’exposition, choisissant de plonger les toiles dans une semi-pénombre au détriment d’une bonne vision. Sans doute un hommage au caravagisme.

- LES ARTS EN SCÈNE, UNA QUADRERIA DEL SEICENTO, jusqu’au 30 septembre, Musée Fesch, 50-52 rue du Cardinal-Fesch, 20000 Ajaccio, tél. 04 95 21 48 17, tlj sauf mardi 9h15-12h15 et 14h15-17h jusqu’au 14 juin, 10h-17h30 ensuite Catalogue, 108 p., 180 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°107 du 9 juin 2000, avec le titre suivant : Le théâtre de la peinture

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