Toujours contestées

L’affaire des chaises de Bagatelle

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 678 mots

Une paire de chaises, commandée pour la chambre du comte d’Artois à Bagatelle, a été adjugée 460 000 francs le 14 mai à Dijon. Proposées de nouveau aux enchères le 21 juin, à la suite de l’annulation de la vente pour confusion d’enchères téléphoniques, ces pièces – dont l’attribution à Georges Jacob est contestée – ont été emportées par le même acquéreur, qui a dû payer le double – 910 000 francs – pour les obtenir. Explications.

DIJON - C’est une histoire complexe qui commence comme un conte de fées pour s’achever en imbroglio juridique. Le 14 mai, les commissaires-priseurs dijonnais Emmanuel de Vregille et Christian Bizoüard mettent en vente une paire de chaises exécutées par Georges Jacob et sculptées par Jean-Baptiste Rode, entre 1778 et 1779, pour la chambre du comte d’Artois à Bagatelle. Ces chaises, provenant du château de Chermont dans le Bourbonnais, propriété de la famille Faucigny-Lucinge, sont restées jusqu’à ce jour dans la famille. La première surprise réside dans l’estimation relativement peu élevée de ces meubles – 350 000 francs – alors que les six chaises de la collection Greffulhe, également exécutées pour Bagatelle par Georges Jacob et sculptées par Rode, en 1778, ont été adjugées 3,9 millions de francs par maître Binoche, le 6 mars à Drouot.

Le jour J, le 14 mai, Didier Second, un collectionneur parisien, qui enchérissait au téléphone a acquis les chaises pour 460 000 francs. Il a aussitôt communiqué aux commissaires-priseurs le nom de l’antiquaire parisien Camille Burgi, avec lequel il avait acheté ces pièces, dont le nom a été porté au procès-verbal de la vente à la place du sien. Quelques jours plus tard, les officiers ministériels décident d’annuler la vente en arguant d’une confusion d’enchères téléphoniques et de soumettre à nouveau les chaises de Bagatelle au feu des enchères le 21 juin. “Le marchand dont le nom nous a été communiqué a déclaré qu’il n’avait pas enchéri par téléphone”, explique le commissaire-priseur Emmanuel de Vregille. “Didier Second, qui a acheté ses chaises en se recommandant de mon nom, les veut. Il a envoyé un chèque à l’étude du montant de l’adjudication”, indique de son côté Camille Burgi.

Des pastiches exécutés par des ateliers piémontais ?
S’ajoutent à ces confusions d’enchères des interrogations sur l’origine réelle des chaises exprimées par Bill Pallot, antiquaire et auteur d’un livre sur le siège au XVIIIe siècle. “Il y a deux solutions. Soit, elles sont fausses et ont été fabriquées, il y a trente ans ou quarante ans, ou au début du siècle par une personne qui s’est rendue au Mobilier national où elle a obtenu leur descriptif. Soit elles sont d’époque, et il s’agit alors de pastiches exécutés par des ateliers piémontais à la fin du XVIIIe siècle. Ce n’est pas la première fois que l’on voit des copies de sièges français exécutés par des Italiens. Les enchères peu élevées prouvent qu’ils n’ont intéressé ni les grands antiquaires parisiens ni les grands collectionneurs. Il suffit de les comparer avec les six chaises de la vente Greffulhe, bien proportionnées avec des sculptures nerveuses, qui n’ont rien de commun avec les chaises de Dijon. On a l’impression que ce sont des allumettes, qu’elles vont se casser.”

Remises en vente le 21 juin, après le rejet du référé intenté devant le tribunal de grande instance de Dijon par les acquéreurs, elles ont été adjugées 910 000 francs au profit du même Didier Second, le double du prix payé il y a cinq semaines. Pour Camille Burgi, qui envisage d’effectuer un nouveau recours en dénonçant le procès-verbal de la première vente, les commissaires-priseurs ont pris prétexte de la confusion d’enchères pour donner une deuxième chance à des chaises qui s’étaient mal vendues le 14 mai. Ce en quoi ils ont obtenu satisfaction. Il serait intéressant de connaître le nom des sous-enchérisseurs qui ont pris le risque d’acheter des chaises contestées. “Pour vérifier l’authenticité de ces chaises nous allons faire appel à des historiens d’art et à des artisans spécialisés. Il va falloir les démonter entièrement, les examiner et retracer leur histoire”, poursuit l’antiquaire. À suivre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Toujours contestées

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