La réforme : Internet aux enchères

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 577 mots

L’article 2 bis de la loi stipule : « Constitue une vente aux enchères publiques, au sens de la présente loi, le fait en agissant comme mandataire du propriétaire, de proposer un bien aux enchères publiques, y compris à distance par voie électronique, pour l’adjuger au mieux-disant des enchérisseurs. Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique, se caractérisant par l’absence d’adjudication et d’intervention dans la conclusion de la vente d’un bien entre les parties, ne constituent pas une vente aux enchères publiques. Sont également soumises aux dispositions de la présente loi, à l’exclusion des articles 6 et 15, les opérations de courtage aux enchères portant sur des biens culturels réalisées à distance par voie électronique.»

Le texte inclut directement les ventes électroniques dans le dispositif. Le premier alinéa en précise la portée en cumulant les conditions du mandataire, de l’enchère publique et de l’adjudication au mieux-disant et le 2e alinéa semble cantonner encore la portée du texte en écartant les opérations de courtage. Mais le 3e alinéa pourrait ouvrir la voie à des contentieux, compte tenu de la difficulté à définir les biens culturels.

Il faut également tenir compte de la singularité des réseaux qui s’enferment malaisément dans la territorialité. Pour le comprendre on peut viser deux affaires récentes. La première, la plus classique a récemment opposé N@rt aux commissaires-priseurs qui ont obtenu le 3 mai du tribunal de grande instance de Paris l’interdiction des ventes aux enchères sur Internet sans leur concours. Parmi les attendus du jugement, il faut en relever particulièrement un : “le réseau Internet constitue, pour les besoins de l’organisation et de la réalisation des ventes aux enchères, une vaste salle de ventes modulable et extensible à l’infini pour tenir compte des modifications de l’espace physique dans lequel sont diffusées les offres de ventes aux enchères “. De cette considération, le tribunal a déduit que “l’offre qui est faite à des internautes domiciliés en France, de participer à une vente aux enchères en ligne (...) implique l’extension de la salle des ventes virtuelles au territoire français”. En d’autres termes une vente aux enchères organisée aux États-Unis (c’était le lieu de localisation du serveur de N@rt), dès lors qu’elle est accessible à des internautes français, est soumise à la juridiction française. Le tribunal nuançait cependant en précisant que les “ventes aux enchères d’objets mobiliers se trouvant en France (..) sont réservées aux seuls commissaires-priseurs”. Mais dans une autre affaire opposant la LICRA et l’UEJF à Yahoo Inc , le serveur américain a reçu du même tribunal, statuant en référé le 22 mai dernier, une injonction assortie d’astreintes considérables (100 000 euros par jour de retard et/ou par kilo-octet de fichier contrevenant/et ou par infraction constatée) de détruire sur ses serveurs et d’interdire l’accès aux internautes français des pages d’un site de ventes aux enchères de souvenirs nazis et de littérature et propagande négationnistes. Si les motivations et circonstances de l’affaire sont radicalement différentes, elles montrent cependant que la territorialité s’applique difficilement à l’Internet.

Dans l’immédiat les courtiers en ligne devront bannir de leurs sites les biens culturels offerts par des professionnels et collectionneurs français. Cela assurera peut-être une meilleure protection des acquéreurs mais renforcera sûrement la valeur du marché virtuel ainsi dévolu aux sociétés de ventes agréées : les études qui jugeront l’indemnisation insuffisante pourront toujours se reconvertir en start up en confiant à des “business angels” le soin de valoriser leur marteau et leur accès privilégié au réseau.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : La réforme : Internet aux enchères

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