Europe : les questions fiscales en suspens

Le commerce électronique imposera de reconsidérer les impositions indirectes

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 1321 mots

La présidence française de l’Union européenne va avoir à traiter de plusieurs questions fiscales en suspens concernant le marché de l’art. En matière de TVA, la distorsion n’est plus théoriquement anglo-française mais américano-européenne. Au sujet du droit de suite, la Commission critique vivement le compromis récemment négocié entre les États membres.

Dans l’état actuel des traités, trois questions concernant le marché de l’art sont de la compétence communautaire : la réglementation des échanges de l’Union avec l’étranger, qui touche en particulier les exportations de biens culturels, les régimes de TVA et enfin la question de l’harmonisation du droit de suite, à l’intérieur de celui des droits de propriété intellectuelle.

En ce qui concerne les exportations, le travail d’harmonisation a été fait en 1992 et la France, à l’époque, a actualisé son dispositif. Les choix européens, après plus de sept ans de pratique, semblent fonctionner correctement. Le reste dépend des États membres, qui restent souverains dans la définition de leurs trésors nationaux, au sens de l’article 30 (ex-36) des traités. Pour nombre d’entre eux la question revient à des arbitrages financiers internes afin de trouver les ressources nécessaires pour retenir sur leur sol les œuvres qu’ils jugent essentielles à leur patrimoine. En France, la modernisation du système du certificat de libre circulation est faite à la suite de l’adoption de la proposition de loi de Serge Lagauche.

La France pourrait peut-être profiter de la présidence pour s’interroger sur le fonctionnement de la directive de restitution des œuvres illicitement transférées à l’intérieur de l’Union. Cette directive de 1993, transposée en France par une loi d’août 1995 n’a pas encore semble-t-il trouvé à s’appliquer : concrètement en France il ne semble pas que l’Office des biens culturels ait été saisi de procédures de revendications ou de restitutions pour des œuvres retrouvées en France ou dans d’autres États membres. Il est vrai que la directive ne s’applique qu’aux trafics postérieurs au 1er janvier 1993, ce qui est une assez courte période pour des cheminements illicites qui peuvent rester clandestins de très nombreuses années. Au-delà d’un contrôle d’application dont on peut penser qu’il relève d’abord de la Commission de Bruxelles, cet examen pourrait être l’occasion de solliciter un tour de table des États membres sur la question de la convention Unidroit. Certes, le texte Unidroit, proposé à la communauté internationale depuis 1995 dépasse géographiquement le cadre de l’Union européenne. Et l’Union peut se contenter d’avoir déjà résolu la question sur son territoire. Mais les trafics exploitent les cloisonnements territoriaux et on peut penser que la directive de 1993 serait confortée par la ratification du texte Unidroit. Il est d’autre part évident que les mentalités ont évolué rapidement par rapport aux questions de biens spoliés, pillés ou volés. Sans s’imaginer qu’en six mois la question serait résolue, la France pourrait peut-être agir pendant sa présidence en proposant une initiative communautaire qui aurait au moins le mérite de faire un état des lieux en préférant une position communautaire au “chacun pour soi” qui enlise la question, tout en laissant planer l’incertitude.

La TVA
La question de la TVA peut être considérée sous le double aspect des distorsions fiscales et de l’accès à la culture. Au sujet des distorsions internes à la Communauté les dérogations admises en 1995 au bénéfice du Royaume-Uni et de l’Allemagne lors de la mise en place de la 7e directive TVA, sont tombées en juin 1999. Sous bénéfice d’un inventaire que la France pourrait demander à la Commission sur ce sujet, les problèmes d’harmonisation de la TVA à l’importation (le cas anglais en particulier avec un taux dérogatoire à l’importation de 2,5 % ) et de généralisation du système de la marge (la situation de l’Allemagne qui avait demandé le maintien d’une possibilité de taxation sur le prix de vente total mais au taux réduit), les disparités internes à l’Union européenne sont résorbées. Demeurent celles avec les grands marchés étrangers, en particulier les USA. Même si elle ne sera que technique, la France pourrait profiter de sa présidence pour demander une véritable clarification des questions. À l’heure actuelle, le point réel sur les disparités Europe-USA n’est pas fait. Les différents rapports sont contradictoires, en particulier ceux qui ont été diligentés par les professionnels anglais ou la Commission européenne. Ces contradictions sont nées à l’époque où les professionnels anglais s’efforçaient de démontrer que la TVA à l’importation était catastrophique, la Commission cherchant au contraire à prouver que l’effet TVA était marginal. En conséquence, chaque partie déduisait des mêmes statistiques des conclusions opposées. Par exemple les Anglais expliquaient une forte baisse des importations d’œuvres d’art au Royaume-Uni par leur imposition à la TVA depuis 1995 ; la Commission de Bruxelles répliquait que la baisse était simplement à mettre au compte de l’utilisation par les professionnels anglais des importations temporaires, qui n’avaient pas auparavant d’intérêt fiscal. Les deux explications tenaient, la mauvaise foi était sans doute équivalente de chaque côté.

Aujourd’hui la situation a changé et la question n’est plus anglo-française via Bruxelles, mais américano-européenne. La complexité demeure mais un degré en dessous. Si l’enjeu du marché de l’art est évident pour l’Angleterre et la France, il ne se pose sans doute pas dans les mêmes termes pour les USA. La prospérité du marché de l’art américain est sans doute davantage le reflet d’une écrasante richesse, dans un cycle de prospérité économique d’une durée sans précédent, que le reflet de savoir-faire professionnels sur ce marché. Bref les USA n’ont sans doute pas le même intérêt que les Anglais à défendre leurs professionnels par des astuces fiscales.

Arts visuels et musique : même combat pour le taux réduit
En ce qui concerne l’accès à la culture, la question du taux réduit de la TVA sur les produits et biens culturels est posée par d’autres branches en particulier les industries musicales. Évidemment les enjeux sont importants et il ne faut pas croire que quelques mois suffiront à vaincre les résistances des grands argentiers. Pourtant le taux réduit culture risque de prendre une acuité croissante avec les développements de l’Internet. L’édition musicale en fait déjà partiellement les frais avec le développement accéléré des téléchargements sauvages en MP3 sur le réseau. Il s’agit d’abord de protection de la propriété intellectuelle, mais également de considération fiscale. On peut penser que le commerce électronique imposera de reconsidérer les impositions indirectes. Les USA ont déjà fait savoir qu’ils pousseraient à la forte modération. Plutôt que d’attendre que les circonstances imposent un choix, ne serait-il pas nécessaire de prendre une initiative qui permettrait au moins de poser les questions à Bruxelles ? Une évaluation des possibilités d’un taux culture à l’initiative de la France, ne serait en outre pas incompatible avec la réflexion nationale sur une nécessaire décrue fiscale, dont l’un des premiers effets a été la baisse du taux normal.

Dans cette hypothèse, les professionnels du marché de l’art auraient intérêt à se rapprocher des autres branches de la production et de l’édition culturelles.

Le droit de suite
La dernière question, celle du droit de suite, peut-elle trouver sa conclusion pendant la présidence française ? Sans doute non. Les Anglais ont obtenu des concessions maximales, en particulier un moratoire de plus de dix ans en ce qui concerne la vente des œuvres d’art d’artistes décédés. La Commission critique vivement ce compromis sans précédent qui pourrait introduire l’usage de directives européennes à effet longuement différé suivant la commodité des États membres. La France n’est pas prête du côté des galeries d’art qui se verraient soumises au droit de suite, même si la première revente était exonérée. En définitive si le ministère de la Culture devait prendre une initiative elle serait plutôt nationale : pousser à une concertation galeries, organisations professionnelles d’artistes et sociétés d’auteurs et la Maison des artistes (qui gère le régime de Sécurité sociale des plasticiens), pour établir une position française commune. Bref, pendant la présidence française, il y aura plutôt des chantiers à ouvrir sur le terrain culturel communautaire que de grandes réformes à inaugurer.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Europe : les questions fiscales en suspens

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