Bruissements de pensée

Giuseppe Penone et sa prose du monde

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 415 mots

La parution simultanée des écrits de Giuseppe Penone, et d’un texte de Georges Didi-Huberman sur le sculpteur, invitent à se replonger dans l’œuvre noueuse et introspective du plus jeune protagoniste de l’Arte povera.

Comment penser l’intérieur du crâne, et littéralement toucher la pensée ? Après un détour par les dessins anatomiques de Paul Richer et du Saint Jérôme penseur de Dürer, Georges Didi-Huberman trouve la solution dans l’œuvre de Giuseppe Penone. Dans un court essai, il décrit la sculpture de ce dernier comme une succession de couches, à la fois noyaux et écorces, à l’instar de la boîte crânienne remarquée par Léonard de Vinci pour son aspect pelliculaire, proche d’un “oignon” : “Peaux, paupières, enveloppes cervicales : chacune n’est, au fond qu’un cas-limite de l’autre [...] toutes seront vues par Penone comme autant d’écorces ou de feuilles...” Largement cités par l’historien, les écrits de l’artiste, publiés par l’École nationale supérieure des beaux-arts où Penone est enseignant, ne démentent pas l’analyse : “pour comprendre et avoir conscience de la forme et de la surface interne du crâne, il faut la toucher avec les mains, la voir avec les yeux. C’est un véritable paysage, avec vallons, lits de rivières, montagnes, plaines, un relief semblable à celui de la croûte terrestre”. Entamés à la fin des années soixante, ces textes, remarquables par leur brièveté, restent indissociables de la production artistique de leur auteur, reflet d’“une décision de travailler avec des éléments naturels [...] conséquence logique d’une pensée qui rejetait la société de consommation et qui recherchait des relations d’affinités avec la matière”. De la pierre façonnée par le fleuve, aux empreintes humaines, en passant par le carbone, élément au croisement entre l’animal, le végétal et le minéral, tout le vocabulaire du sculpteur s’inscrit dans cette perspective, qui mime la pensée. Un mouvement continu et perpétuel que Didi-Huberman, qualifie d’“aître”, d’“état naissant”. Mais passé les références à l’anatomie et à la peinture classique, l’essai du critique a, au final, beau jeu de s’engouffrer dans les textes du principal intéréssé, dont il ne manque d’ailleurs pas de souligner la pertinence. Une invitation à remonter à la source : “plus le cerveau comporte de sédiments de mémoires, plus il y a de galeries, plus il y a d’arrêts, plus il y a de gisements”.

- Giuseppe Penone, Respirer l’ombre, éditions de l’École nationale supérieure des beaux-arts, 180 p., 100 F, ISBN 2-84056-079-8.
- Georges Didi-Huberman, Être crâne, lieu, contact, pensée, sculpture, éditions de Minuit, (réédition), 94 p., 55 F, ISBN 2-7073-1707-1.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Bruissements de pensée

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