Sir Neil Cossons : « Un catalyseur puissant »

Sir Neil Cossons expose les ambitions de l’English Heritage

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 1007 mots

Nommé le 1er avril dernier, sir Neil Cossons est à la tête d’une organisation quasi autonome responsable de la conservation des monuments historiques et des bâtiments anciens. L’English Heritage (EH) conseille le gouvernement pour la sélection des bâtiments et les questions de patrimoine, gère plus de quatre cents propriétés historiques et consacre 40 millions de livres (environ 400 millions de francs) par an à leur conservation et aux financements de missions archéologiques. Cette année, il a reçu du ministère de la Culture, des Médias et des Sports une subvention de 114 millions de livres. Sir Neil Cossons nous expose les objectifs de son mandat, et notamment la valorisation du patrimoine industriel.

Le gouvernement est-il conscient de l’importance du patrimoine ?
Notre gouvernement actuel concentre toute son attention sur l’avenir, plus que tous ceux qui l’ont précédé. Il semble négliger le passé ou encore le considérer comme un frein au progrès. C’est un défi supplémentaire pour l’EH. À nous de faire comprendre que le passé est aussi important pour l’avenir, et ce, d’une manière créative et dynamique.
L’EH doit se montrer très ferme lorsqu’il est question de préserver certains témoignages importants de notre patrimoine. Il devrait participer aux discussions concernant les paysages de l’avenir, aussi bien urbains que ruraux, en tant que médiateur, en assurant la promotion des valeurs relatives à la conservation. Je voudrais que l’EH devienne un catalyseur puissant, travaillant avec d’autres, surtout pour la régénération urbaine.

Que pensez-vous de l’insistance du gouvernement en ce qui concerne “l’accessibilité” ? Est-ce devenu une sortie de mantra ?
Le gouvernement ne comprend pas à quel point les professionnels du monde de l’art et des musées croient passionnément à l’accessibilité. C’est pourquoi on les entend dire : “Nous en voulons plus.” Vous utilisez le terme de mantra, et vous n’êtes pas très loin de la vérité. Toutes ces légendes, selon lesquelles des centaines de tableaux seraient stockés dans les caves des musées à cause de conservateurs malintentionnés. Sortez-les et présentez-les dans la collection permanente et vous aurez un musée des plus ennuyeux. Servez-vous de ces tableaux pour créer des expositions et vous obtiendrez un résultat très attractif. Je m’inquiète surtout pour les chercheurs, les conservateurs, les commissaires d’expositions et la conservation des œuvres, qui risquent de pâtir de tout cela. J’ai un rôle pédagogique à jouer auprès du gouvernement. En ce qui concerne le patrimoine, le plus important n’est pas de permettre l’accès à des objets toujours plus nombreux à un nombre de visiteurs croissant, mais d’assurer la survie à long terme d’une pièce ou d’un bâtiment, face à un tourisme international en expansion. Attendez que les Indiens et les Chinois deviennent de grands voyageurs. Voir Stonehenge et Venise sera considéré comme un droit acquis à la naissance.

Actuellement, le projet le plus important de l’EH est une étude de l’environnement historique. Où en sont vos travaux ? Et quelles sont les premières conclusions ?
Pourquoi cette étude ? Qu’apporte un environnement historique à la vie quotidienne ? Nous sommes en train de réaliser un sondage d’opinion et nous nous intéresserons à l’avis des communautés pour lesquelles le mot “patrimoine” ne signifie pas grand-chose. Pour les minorités ethniques, il peut s’agir d’une culture héritée de leurs ancêtres. Et pour ceux qui vivent dans des quartiers défavorisés, le concept de préservation des monuments historiques peut sembler plutôt obscur. Nous voulons être certains que notre sondage sera le reflet fidèle de l’opinion générale de la population, et non pas uniquement des partisans convaincus du patrimoine. La compréhension du passé est une voie importante menant vers l’avenir, mais nous devons l’envisager d’une manière bien plus ingénieuse que nous ne l’avons fait jusqu’à présent.

Les sites britanniques inscrits au patrimoine mondial bénéficient-ils de la protection juridique et du soutien financier auxquels ils peuvent prétendre ?
L’EH n’a toujours pas décidé d’une politique, mais il pourrait se décider à la lumière de l’étude en cours. Ces sites ont besoin d’une protection accrue et des ressources nécessaires pour la mettre en place.

L’EH a reçu des critiques émanant du National Audit Office (bureau national pour l’audit) après qu’une enquête a révélé que certains propriétaires de monuments historiques recevant des subventions en interdisaient l’accès, pourtant obligatoire, au public.
Il est inadmissible que des gens acceptent joyeusement de l’argent d’une main, et claquent la porte au nez des visiteurs de l’autre. Ce rapport a mis au jour une situation qui ne peut plus durer. L’EH a été critiqué pour son manque de suivi, et je pense que c’est assez justifié. Nous poursuivons déjà ceux qui interdisent l’accès au public, mais désormais, les poursuites vont s’intensifier.

Que pensez-vous de la Spirale proposée par Daniel Libeskind pour le Victoria & Albert Museum, qui représente une intervention importante sur un monument historique ?
Je suis très enthousiaste. J’ai été ravi lorsque l’EH s’est déclaré favorable au projet, il y un an. La construction de Libeskind aura des répercussions importantes, mais plutôt positives à mon avis.

Vous êtes un fervent défenseur de l’archéologie industrielle. Pourquoi est-ce si important, et que peut-on faire pour préserver ce patrimoine ?
La Grande-Bretagne fut la première nation industrielle. Je pense que dans cinq cents ans, des visiteurs viendront voir une tranche de notre histoire, de la même manière qu’ils se rendent en masse sur les sites de l’Égypte ancienne, à Athènes ou à Rome. Ils s’intéresseront à l’époque pendant laquelle la Grande-Bretagne a eu une influence mondiale – grâce à sa puissance impériale, grâce à son système parlementaire, mais surtout, grâce à l’industrialisation et à sa diffusion dans le monde. Et il faudra pouvoir “lire” tout cela dans le paysage britannique. Nous devons préserver ces sites tant qu’ils existent. Ils sont très vulnérables, beaucoup plus que les sites médiévaux qui sont déjà en “captivité” et dont on assure la conservation. Les sites industriels sont souvent dans des zones qui rendent leur conservation difficile, davantage dans des villes, soumises aux impératifs de développement, qu’à la campagne. Il s’agit fréquemment de sites occupant une superficie importante et l’unique chance de survie pour ces anciens bâtiments industriels est de leur trouver une nouvelle fonction.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Sir Neil Cossons : « Un catalyseur puissant »

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