Des étoiles peu brillantes

La photographie astronomique au Musée d’Orsay

Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 842 mots

La propension des institutions à guetter les bons thèmes d’exposition, si possible encore vierges, nous vaut une manifestation consacrée aux photographes et le ciel, 1850-2000, intitulée « Dans le champ des étoiles ». Mais les images du XIXe siècle, seul référent exposable, ne sont pas l’élément décisif d’une recherche scientifique qui reste cryptée. Quant à la production récente d’artistes photographes, elle en appelle à un imaginaire bien pauvre.

PARIS - On peut considérer comme légitime que se sachant investi de la conservation d’une partie de la photographie du XIXe siècle (et la plus artistique), le Musée d’Orsay cherche à sortir des sentiers battus qu’il a contribué à tracer. Mais faut-il pour autant, sous prétexte d’exploration photographique, placer à quelques mètres de l’Enterrement à Ornans ce qu’il y a de plus scientifique, de plus ardu, de moins “iconique” dans le champ déjà bien marginal de la photographie, découpé en autant d’“applications” qu’il y aura de thématiques à échoir pour de futures expositions. Bien sûr, tout cela est tiré vers la poétique des étoiles, vers la rêverie du vide céleste, vers la vanité des espaces infinis, vers le mystère des phénomènes imprévisibles, mais le souffle vient à manquer devant tant de superlatifs. Les réalisations de la “photographie astronomique” sont finalement bien terre à terre, et peu spectaculaires en termes d’image ou de rêverie. Elle sont plus simplement du strict domaine de la physique, de l’optique, du calcul mécanique… et de la conjecture simpliste. Décevantes, en somme et pour tout le monde, y compris pour les astronomes du XIXe siècle (et sans doute pour les organisateurs de cette exposition). Car les espoirs que l’on mettait à tout propos au XIXe siècle dans la photographie (et l’astronome Arago le premier, dès 1839) n’ont suscité que peu d’avancées en matière d’astronomie, du moins tant que l’on se contentait d’utiliser “la photographie” comme telle ; les progrès viendront quand on saura contourner les limitations intrinsèques du spectre terrestre et oculaire, que l’on appliquera les mêmes principes analytiques à d’autres rayonnements électromagnétiques, et notamment lorsqu’on saura faire de l’analyse spectroscopique. Mais cela est encore plus difficile et encore moins spectaculaire pour une exposition !

Affaire de spécialistes
En somme, ce domaine spécialisé est affaire de spécialistes ; et requiert une pédagogie qui fait très généralement défaut au Musée d’Orsay (et serait plutôt du ressort de la Cité des Sciences). Car exhiber des images sans entrer dans le détail de leur pouvoir heuristique, sans mettre le doigt sur ce qui leur donne un sens aux yeux de leurs auteurs est assez vite lassant.

La photographie en astronomie a donné lieu à une suite de déconvenues – qui sont du reste dans la nature de l’indécision des intentions : les astronomes, professionnels ou amateurs, n’avaient pas encore assez de certitudes pour se doter de programmes. Le premier objet de désir fut la Lune, mais la photographie n’apportait rien à sa connaissance, sinon en matière d’illustration : Nasmyth, en 1874, dans The Moon, considered as a Planet, a World and a Satellite trouve pourtant plus pratique de faire des photos de maquettes en plâtre des cratères lunaires, modelés d’après dessins. Les photographies d’éclipses, et particulièrement celle de 1860, furent les plus rentables en aboutissant à l’identification définitive des protubérances solaires en tant que phénomènes matériels. Les passages de Vénus devant le Soleil (1874 et 1882) suscitèrent beaucoup d’ambitions et de préparatifs onéreux (le fameux revolver photographique de Janssen), pour des résultats presque inexploitables (on en attendait la mesure de la distance Terre-Soleil). L’Atlas de photographies solaires de Janssen ne paraîtra que partiellement (1896-1905) et seul l’Atlas photographique de la Lune sera mené à bien sans que l’on puisse s’en servir avant le premier pas sur le satellite (1969) préparé par bien d’autres cartographies. Symptôme d’une certaine faillite, toutes les plaques de Janssen seront jetées voici une trentaine d’années. La Carte photographique du ciel, programmée internationalement en 1887, quasi impossible à réaliser en raison de l’évolution rapide des techniques, fut officiellement abandonnée en 1970 : l’astrophysique a désormais d’autres méthodes.

À trop vouloir démontrer une emprise de la photographie a priori, en appliquant une méthode historique qui fait la somme des réalisations sans liens problématiques, on en oublie les enjeux purement scientifiques de ces entreprises. Mais au-delà d’un certain étonnement, les images ne peuvent suffire à l’attention et à la compréhension. Sans doute conscient de la rigueur extrême du propos, le Musée d’Orsay a voulu l’étoffer par “les propositions des artistes” contemporains, censés nous éclairer sur la “question de l’espace-temps”. À grand renfort de poncifs sur le réel et l’imaginaire (bien malin qui dira ce qu’est le réel en astrophysique), on pénètre dans la nébuleuse des achats circonstanciés du Fonds national d’art contemporain, où les clichés de la NASA côtoient très approximativement la Big Comet de Dibbets, sans qu’une vaine “suprématie de l’artiste” nous fasse décrocher la Lune.

DANS LE CHAMP DES ÉTOILES. LES PHOTOGRAPHES ET LE CIEL, 1850-2000, jusqu’au 24 septembre, Musée d’Orsay, 62 rue de Lille, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 73, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10-21h45, dimanche 9h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Des étoiles peu brillantes

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