Aux États-Unis, les conseillers sont légion

Une association, l’Apaa, qui regroupe une cinquantaine de membres, a défini un code de déontologie

Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 1389 mots

Depuis quelques années, le marché de l’art américain est envahi par une nouvelle génération de conseillers artistiques qui courtisent les entreprises. « Ils sont partout », déclare Leah Freid, de la galerie Lombard Freid de Chelsea, à New York. « Si vous regardez la liste des gens qui achètent aux enchères, vous remarquerez qu’ils sont tous conseillers ou marchands », poursuit-elle. Andrew Terner, marchand privé à New York, estime que « dans notre société obsédée par les experts, les gens veulent être pris en main lorsqu’ils entrent en territoire inconnu ». Heureusement, l’Association of Professional Art Advisers (Apaa) est là pour veiller au grain.

L’Apaa, l’élite autoproclamée de la profession, considère que nombre de collectionneurs privés et d’entreprises sont aujourd’hui livrés à la merci de conseillers inexpérimentés. Des lithographies décoratives violettes et or payées au prix fort décorent ainsi encore trop souvent les murs des bureaux. “Il est important que nous apportions une certaine norme à ce marché. Les gens doivent savoir qu’ils ne seront pas lésés s’ils se rendent chez un expert qualifié, alliant formation et expérience”, assure Elizabeth Kujawski, consultante pour l’une des plus grandes firmes de cosmétiques de New York. Les cinquante membres de l’Apaa déclarent s’appuyer sur leur expérience et leur intégrité. Les règles de l’association sont strictes. Les membres ne sont admis que par cooptation et n’ont pas le droit de gérer leur propre fonds d’œuvres. “Cela pourrait influencer l’intégrité des choix”, explique Sandra Lang, membre de l’Apaa qui a travaillé pour des entreprises telles que American Electric Power Company et Cigna Corporation. Les conseillers ne doivent pas recevoir de commission de la part des galeries ou des artistes, mais uniquement être payés par leurs clients, même si certains admettent que des collègues moins scrupuleux ne respectent pas ce principe. Sur le marché des entreprises, ajoute Sandra Lang, les membres de l’Apaa estiment apporter à leurs clients une expertise qui se fonde sur des considérations artistiques et financières. “Je suis toujours surprise de voir qu’en rassemblant leur collection, les entreprises ne montrent pas un sens des affaires aussi aigu que dans leur gestion courante”, conclut-elle.

Pas plus cher que les décorations de Noël
Ces services ne s’adressent pas uniquement aux débutants. Il y a cinq ans, lorsque le J. Paul Getty Trust a voulu acquérir des œuvres d’art pour son siège social à Brentwood, il a embauché Viart Inc., de New York, pour réunir un fonds de gravures et d’autres œuvres correspondant au style de l’entreprise, le tout pour un montant d’un million de dollars. “Nos conservateurs ne connaissent rien à l’art contemporain”, avait alors affirmé le directeur général du Getty, Harold Williams. Certains marchands y ont vu un mauvais présage. “Vous avez là un exemple de la mainmise des entreprises sur le monde de l’art. Dans ce dernier ils ont les meilleurs experts, mais ils embauchent ailleurs des professionnels de l’art des entreprises”, nous a déclaré Andrew Terner. Viart, l’une des plus anciennes sociétés de conseil dans le domaine de l’art, achète actuellement des œuvres pour les bureaux de Goldman Sachs.

Le domaine des conseils en art a tendance à suivre les cycles commerciaux. Il connaît une hausse lorsque les profits des entreprises augmentent et une baisse lorsqu’ils chutent. Les sociétés (avec des exceptions notables comme IBM) ont commencé à collectionner dans les années soixante et soixante-dix, en grande partie à l’initiative de leurs dirigeants. Au moment du boom du marché de l’art des années quatre-vingt, les entreprises se sont agrandies et ont acquis des œuvres pour décorer leurs nouveaux bureaux. Après la période d’austérité qui a suivi, collectionner est devenu plus stratégique (pour les sociétés qui ont continué à acheter des œuvres) et les experts ont souvent dû faire de l’art un instrument marketing. Les entreprises ont commencé à exploiter la valeur de reproduction des œuvres qu’elles possédaient. D’autres, comme Progressive Company, se sont servies de leur collection comme image de marque et ont reproduit des œuvres contemporaines sur la couverture de leurs rapports annuels. La surveillance attentive qui émane des actionnaires impose des exigences nouvelles aux conseillers. “Si l’on réfléchit bien, ces sommes ne sont pas beaucoup plus élevées que celles dépensées en décorations de Noël”, soutient Sandra Lang. “Mais même si nous sommes en plein boom, les compagnies ne font pas d’extra. Elles veulent s’assurer que tout marche pour le mieux.”

Éviter les personnages et les thèmes religieux
Sandra Lang a débuté sa carrière au service des conseils en art du Museum of Modern Art, un service de prêt et de collecte de fonds qui met à la disposition des entreprises et des collectionneurs privés les œuvres conservées dans les réserves. “Nous avons fini par aider les grandes compagnies pour leur programme d’acquisition, en commandant des œuvres destinées à leur siège et produites sur place, en créant des brochures et en nous occupant de la communication interne. Nous avons conseillé Johnson & Johnson, Springs Industries, General Electric. Il fallait être membre du musée pour bénéficier de cette prestation. Nous avons appris à rendre service aux entreprises, quelle que soit la nature de leurs besoins”, poursuit-elle.

Aucun membre de l’Apaa ne dévoile le volume des transactions, ni le nombre d’entreprises qui collectionnent. Le récent effort fourni par l’Apaa pour attirer l’attention est peut-être un signe que l’association cherche à conquérir de nouvelles parts de ce secteur en pleine croissance. Selon les experts, les budgets des sociétés varient énormément. Les conseillers tendent à concevoir ces collections comme une réflexion sur l’identité de l’entreprise et un atout pour attirer les employés, et non pas seulement comme un investissement. “Pour avoir une bonne collection, il faut un soutien solide des équipes dirigeantes”, affirme Elizabeth Urbanski, qui achète de l’art contemporain et des photographies pour une importante firme pharmaceutique et pour des hôtels conçus par le cabinet d’architectes Rockwell Group. Toutefois une collection d’entreprise de bonne qualité n’est pas nécessairement synonyme d’audace. “La plupart de nos clients sont conservateurs. Le plus souvent, je renonce à acheter des œuvres comportant des personnages, des thèmes religieux, rien qui soit manifestement conflictuel comme un Nan Goldin. Mon rôle n’est ni de les forcer ni de leur apprendre à rester assis toute la journée dans une salle de conférences face à un héroïnomane de Nan Goldin. Ils ne me paient pas pour ça”, précise Elizabeth Urbanski. Cependant les entreprises attendent des conseillers qu’ils les éclairent sur les tendances de l’art. “Un nouvel arrivant n’est pas au courant de ce qui est en vogue, même s’il connaît les galeries”, affirme Leah Freid. Face aux longues listes d’attente pour les œuvres des artistes du moment, les conseillers sont parfois en mesure de réduire les délais, et s’ils échouent, achètent les œuvres des artistes recherchés dans les ventes aux enchères. Les meilleurs consultants anticipent déjà les replis de l’économie, quand les hommes d’affaires examineront ce qu’ils ont acheté et pourquoi. Selon Elizabeth Urbanski, “un bon conseiller en art essaie de réunir et d’intégrer une collection à la psychologie de la compagnie de façon qu’elle ne perde pas sa collection au départ du directeur général”.

France : le mélange des genres

Si le nombre de conseillers en art ne cesse d’augmenter aux États-Unis, la profession ne connaît pas en France la même embellie. Le manque de dynamisme des grandes entreprises françaises dans le domaine culturel en général et en art contemporain en particulier explique en grande partie cette atonie. Point d’association donc pour réunir des femmes et des hommes qui, dans la majorité des cas, exercent d’autres professions à côté de celle de consultant. Un grand nombre d’entre eux ont parallèlement une activité marchande incompatible outre-Atlantique avec les statuts de l’Association of Professional Art Advisers (Apaa). Si cette dernière interdit à ses membres de disposer eux-mêmes d’un fonds d’œuvres à vendre, des galeristes français profitent souvent de ces opportunités pour placer les créations des artistes avec qui ils travaillent ou même de revendre des pièces acquises sur le second marché. Leur activité de conseiller se confond ainsi étroitement avec celle de galeristes. Souhaitant plus d’indépendance de la part de leurs advisers, des sociétés françaises n’hésitent pas à les salarier, pour tenter de garantir des choix, établis sur des critères purement artistiques, dans l’orientation des acquisitions ou des bourses accordées aux créateurs. Cependant, la profession reste encore trop embryonnaire dans notre pays pour qu’une véritable association professionnelle puisse définir précisément une activité dont le statut reste flou.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Aux États-Unis, les conseillers sont légion

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