Systématique et pédagogique

Voir l’œuvre de Blossfeldt dans une plus juste perspective

Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 542 mots

Il y a toujours eu un malentendu à propos du travail de Blossfeldt sur les formes des plantes, devenu célèbre dans le milieu d’avant-garde photographique à la fin des années vingt. Cette œuvre systématique et pédagogique est reconsidérée par une exposition des planches originales conservées à la Hochschule der Künste de Berlin, pour laquelle elles ont été produites ; déjà présentée à Berlin, actuellement au Fotomuseum de Winterthur, elle sera à la Kunsthalle de Krems l’année prochaine.

WINTERTHUR - Le fait que Dieter Appelt (l’un des signataires du catalogue) soit professeur à la Hochschule der Künste de Berlin (anciennement École du Musée des arts décoratifs) pour laquelle travailla Blossfeldt, n’est certainement pas étranger à la tenue d’une telle exposition, qui se propose de remettre dans une plus juste perspective des photographies à vocation scientifique enveloppées depuis longtemps de l’aura de la création artistique. Professeur de 1899 à 1930 dans le cadre de l’enseignement “naturel” de son maître Maurer, chargé du “modelage d’après plantes vives” (vives par opposition aux herbiers fanés et morts), Blossfeldt avait amassé pendant une trentaine d’années les clichés de ces plantes qui devaient fournir un répertoire de formes naturelles aux étudiants. On suivait là un courant très vivace dans l’Art Nouveau international qui se nourrit, en France, en Belgique, en Espagne, et en Europe de l’Est, de références aux formes naturelles productrices de courbes, de sinuosités, d’élégance et aussi d’articulations moins rigides que les rouages mécaniques prônés dans l’industrie.

C’est pourquoi il est a priori  étonnant de retrouver Blossfeldt, en 1929 dans “Film und Foto”, à Stuttgart qui marque l’emprise de la photographie pure américaine et de la Nouvelle Objectivité allemande à laquelle Blossfeldt est vite assimilé. Ceci s’explique surtout par le dépassement du propos pédagogique. Blossfeldt avait opté pour un travail de haute qualité (chambre 13 x 18 cm, macrophotographies sur fond uni sans ombre). La plante, ou le fragment végétal n’apparaît plus identifiable et devient un modèle formel généralisable à toutes les productions artistiques ñ et à ce titre  il peut servir de base à l’enseignement d’une école d’art. Mais c’est aussi un objet d’art, comme un pied de lampe ou un lampadaire (voir les entrées de métro parisien par Guimard, conçues selon cette analogie).

Blossfeldt veut en dégager une esthétique créative, “une structure artistique, architectonique complète”. En publiant ces images en un recueil Urformen der Kunst (Formes originelles de l’art) en 1928, il s’était engagé sur le terrain déjà balisé par la Nouvelle Photographie qui prêche l’ambiguïté de la métamorphose et la pureté de la forme industrielle. Ses plantes deviennent des stéréotypes suggestifs de formes animales ou humaines, inquiétantes ou érotiques. Au-delà des intentions, et bien loin de l’observation scientifique, ces photographies sont chargées d’une étrangeté (le cadrage serré en est partie prenante) : les artistes y verront une symbiose morphologique, les poètes comme Bataille le langage d’un éros fantastique dévoilé par la photographie. En montrant les planches originales de l’École d’art de Berlin, cette exposition déroule comme dans un film ralenti des transformations corporelles, des hybridations inattendues et secrètes, mises à portée d’œil.

- Karl Blossfeldt, cet été, Fotomuseum, Grüzenstr. 44, Winterthur, Suisse, tél. 41 52 23 36 086, puis en 2001 à Krems, www.fotomuseum.ch. Catalogue édité par Schirmer/Mosel, 104 p., 298 F, ISBN 3-88814-115-X.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Systématique et pédagogique

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