Belgique

Exposition fictive

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2008 - 677 mots

Une exposition tente un pari risqué : traiter de l’art wallon au Moyen Âge
et à la Renaissance... alors que la Wallonie n’existait pas encore.

BRUXELLES - Dans le contexte politique actuel qui voit l’union de la Belgique remise en cause, consacrer une exposition à l’art wallon pouvait passer, au pire, pour la manifestation d’un sentiment communautaire déplacé, au mieux, pour une provocation. Si celle-ci a été simplement conçue comme le pendant d’une précédente exposition consacrée à l’art flamand, elle était d’autant plus scabreuse dans ses limites chronologiques couvrant les périodes du XIIe au XVIe siècles. Car la Wallonie, contrée aux limites fluctuantes entre Meuse, Sambre et Escaut, n’existait pas à cette époque, le terme apparaissant pour la première fois en 1844. Auparavant, « wallon » désignait simplement une personne de langue française, quelle que soit son origine. En résumé, cette exposition consistait à présenter le patrimoine communautaire d’un pays sans nom ni frontière fixe. Convoqué pour résoudre cette équation difficile, Laurent Busine, directeur du MAC’s du Grand Hornu, a réussi à contourner l’obstacle. Avec un credo : jouer sur le registre de la fiction. Son exposition ne raconte donc pas une histoire de l’art wallon – il n’est d’ailleurs pas spécialiste de cette période – mais tisse des histoires à partir d’un ensemble hétérogène d’œuvres. Le tout est ponctué de quelques pièces contemporaines, dues à Beat Streuli, Michel François ou encore Orla Barry, qui constituent pour certaines une respiration laïque dans un ensemble dominé par l’art religieux. Pour parachever le tout, la scénographie accentue cet effet de décalage. Très sobre et aérée, elle évoque un cabinet de curiosité avant-gardiste avec des œuvres présentées sous cloche de verre, mettant sur un pied d’égalité l’art populaire et l’orfèvrerie la plus précieuse. Un brassage étonnant revendiqué par Laurent Busine comme un écho à la réalité de la société belge. Pour constituer cette sélection éclectique et déconcertante, le commissaire a donc arpenté églises, couvents et musées afin de dénicher les productions d’artistes originaires de la région ou non. Certaines pièces sont des chefs-d’œuvre. Ainsi des quelques toiles dues à Joachim Patenier (vers 1485-1524), l’ami de Dürer, illustrant parfaitement la difficulté du sujet. Né à Dinant, sur les bords de la Meuse, le peintre a fait carrière à Anvers, Liège et Tournai n’ayant pas alors l’attractivité des puissantes villes flamandes. Considéré comme l’un des précurseurs du paysagisme pour ses scènes religieuses servant de prétexte à l’exécution de mystérieux décors naturels, sa peinture reste hantée par les grandes falaises de la vallée de la Meuse. Autre célébrité de l’exposition, le « romaniste » Jan Gossart (vers 1478-1532), né probablement à Maubeuge, et qui a importé à Anvers le vocabulaire de la Renaissance. Le sculpteur Jacques du Brœucq (vers 1505-1584) fait, pour sa part, figure de notable exception pour avoir livré la plupart de ses œuvres maîtresses en terres wallonnes, à Mons, comme en témoignent les trois figures d’évangélistes ou encore la monumentale Marie-Madeleine provenant du jubé de la Collégiale Sainte-Waudru. D’autres artistes, moins connus, tiennent aussi leur place dans cet ensemble mêlant gisants, reliquaires, peintures et pièces de dinanderie. C’est le cas du Liégeois Lambert Lombard (vers 1505-1566), habile dessinateur mais peintre moins convaincant, ou encore de Henri Met de Bles (vers 1480-1550), qui s’inscrit dans une filiation avec Patinir. La manifestation a, par ailleurs, été l’occasion de réunir de manière exceptionnelle les éléments épars de la tapisserie tournaisienne de la Passion du Christ, dispersée entre le Vatican et Bruxelles.
Cette drôle d’exposition invalide donc, s’il en était besoin, la théorie des écoles régionales, de surcroît lorsque ces entités ne sont que des inventions modernes. Elle réaffirme aussi, de manière détournée, l’unité artistique des anciens Pays-Bas méridionaux. L’art ne connaît pas les frontières. La Belgique n’est donc pas qu’une invention politique, elle est aussi une réalité artistique.

CE CURIEUX PAYS CURIEUX, TRÉSORS ANCIENS ET NOUVEAUX DE WALLONIE, Palais des Beaux-Arts, 23, rue Ravenstein, Bruxelles, jusqu’au 18 mai, tlj sf lundi, 10h-18h et jeudi 10h-21h. Catalogue éd. Fonds Mercator, sous la direction de Laurent Busine, 255 p., 35 euros (sur place), ISBN 978-90-6153-810-3.

Ce curieux pays curieux, Trésors anciens et nouveaux de Wallonie
- Commissaire de l’exposition : Laurent Busine, directeur du MAC’s du Grand Hornu
- Scénographie : Baukunst –Adrien Verschuere
- Nombre d’œuvres : 140

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Exposition fictive

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