Pour bien acheter, achetez en silence

Selon la Cour de cassation, l’acheteur n’a pas d’obligation d’information

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 496 mots

Les professionnels accueilleront avec satisfaction un arrêt de la Cour de cassation du 3 mai qui exonère les acheteurs de l’obligation d’informer le vendeur sur la valeur des œuvres.

PARIS - Les conseillers de la Cour de cassation soufflent le chaud et le froid sur le marché de l’art. Ils ont récemment ouvert la voie à l’annulation, par un arrêt du 27 juin, de la vente du Poussin des frères Pardo. En estimant que la cour d’appel de Paris avait eu raison de considérer qu’il y avait erreur sur la substance, la Cour de cassation a suscité l’inquiétude chez les professionnels, d’autant que le tableau, à l’époque non authentifié et dédaigné par les musées, avait été acheté assez cher.

Mais peu avant, dans une affaire moins médiatisée, la Cour de cassation avait rendu le 3 mai 2000 un arrêt plus apaisant. Celle-ci opposait un marchand qui avait acheté sur trois ans plusieurs dizaines de photographies à une vendeuse. D’abord satisfaite d’une première transaction de 50 photographies réalisée en ventes aux enchères, la même personne avait retrouvé trois ans après le marchand pour lui vendre 50 autres pièces à 1 000 F l’unité. Ayant découvert ultérieurement que les œuvres valaient beaucoup plus cher (la cour d’appel a par la suite chiffré l’écart à 1 900 000 F) elle avait porté plainte pour escroquerie. Le spécialiste incriminé ayant bénéficié d’un non-lieu, la vendeuse s’était adressée aux tribunaux civils en demandant l’annulation de la vente, invoquant les actions dolosives du marchand. Elle se fondait sur l’article 1116 du Code civil qui stipule : “le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé”.

Une réticence dolosive
Les circonstances ne démontraient pas d’agissements actifs du vendeur pour abuser son interlocutrice. Au contraire c’était elle qui l’avait relancé après la première vacation. Toutefois les juges d’appel avaient considéré que le silence du marchand constituait une réticence dolosive et avaient décidé l’annulation de la vente. Ils se fondaient sur une jurisprudence qui a parfois considéré que le silence d’une partie dissimulant un fait important peut constituer un dol. Cette jurisprudence vise plus souvent le vendeur et certains juristes considèrent même qu’il existe une obligation précontractuelle de renseignements à la charge du vendeur professionnel. Mais elle a exceptionnellement pu concerner l’acheteur.

Dans cette affaire, la Cour de cassation en a décidé autrement en estimant que la loi n’imposait pas à l’acheteur une obligation d’informations et que les juges d’appel ne pouvaient interpréter son mutisme comme une manœuvre dolosive. Cette décision, intervenue pour un motif de dol, ne change pas la construction jurisprudentielle actuelle en matière d’erreur sur la substance. Mais elle précise utilement que le professionnel acheteur n’est pas tenu de mettre son savoir à la disposition du vendeur. Reste que les entrelacs des décisions judiciaires françaises peuvent indirectement encourager l’opacité des transactions.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : Pour bien acheter, achetez en silence

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