En veux-tu en voilà

À Paris, une exposition en forme d’inventaire

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 650 mots

L’année 2000 aura été celle des célébrations en tous genres. Souhaitant prendre le contre-pied de ces manifestations, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris tente de traiter de la mémoire vive en réunissant une soixantaine d’artistes contemporains : « Voilà », une exposition en forme d’inventaire.

PARIS - De nombreux mâts de Paris sont recouverts depuis quelques semaines de panneaux jaunes sur lesquels sont simplement imprimés ces quelques lettres : “Voilà”. Pour tout internaute français qui se respecte, ces affiches vantent à coup sûr le moteur de recherche développé pour le Web par France Telecom. Que nenni. Il s’agit en réalité du titre elliptique de l’exposition présentée en ce moment au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et sponsorisée par l’opérateur téléphonique. La manifestation, sous-titrée “Le monde dans la tête”, a en effet opté ironiquement pour un titre en forme de ready-made qui brouille les pistes à défaut d’attirer les visiteurs. Ce choix du ready-made se poursuit dès les premières salles, dans sa traduction de “déjà fait” ou de “déjà accompli”. Ainsi se déploie dans le hall du musée une grande installation de Fabrice Hybert intitulée L’Eau dans la tête, qui réunit sur des étagères des eaux minérales en provenance du monde entier. Sans même parler du concept du bar à eau développé au sous-sol de chez Colette, la boutique branchée de la rue Saint-Honoré, cette pièce renvoie directement au Bar de l’Amazone proposé à la Galerie de Paris, en février 1997, par Jean-Luc Vilmouth. Ce dernier y avait également présenté des eaux minérales venant des quatre coins du monde. Cette étrange similitude, qui, sauf omission, n’a été évoquée dans aucun compte rendu de “Voilà”, permet tout de même de s’interroger sur la mémoire sélective d’une partie de la critique d’art, au moment où Éric Troncy et Nicolas Bourriaud, dans les Inrockuptibles et Beaux-Arts magazine, se présentent en redresseurs de torts à propos d’un article de Nicolas Thély sur une œuvre de Didier Courbot. Il est notamment reproché au journaliste d’avoir omis d’évoquer un précédent signé Bertrand Lavier.

Ironie du sort, ce dernier est, avec Christian Boltanski, l’un des concepteurs de “Voilà”, une exposition construite sur le thème de la mémoire et réunissant des “œuvres visant à saisir et préserver le réel par diverses méthodes : archivage, compilation, collection énumération, classement, enregistrement, accumulation…” Les deux conseillers ont d’ailleurs poussé leur engagement jusqu’à faire eux-mêmes partie de l’exposition. Boltanski s’est ainsi tourné vers le sponsor pour proposer une installation constituée d’annuaires téléphoniques. Quant à Lavier, faisant peut-être référence à l’histoire de l’âne Martin de Rutebeuf, il a réuni dans une salle les pièces d’artistes portant ce patronyme, prouvant, si cela était nécessaire, que le talent n’est pas attaché au nom. Lavier offre ainsi à quelques artistes méconnus leur quart d’heure de célébrité cher à Warhol. Ce dernier est présent au premier étage avec une grande vitrine dans laquelle ont été réunis les contenus de la Time Capsule n° 214, de 1974 à 1987. Parmi les souvenirs et objets ici réunis figurent notamment un billet de Concorde, menus et autres documents distribués dans le supersonique et qui prennent aujourd’hui un sens nouveau.

“Ô Temps, suspends ton vol”, écrivait Lamartine. Aussi, “Voilà” a volontairement été conçue comme une “(anti-)commémoration”, ainsi que le souligne Suzanne Pagé, directrice du musée, qui entend ici se démarquer de toutes les manifestations accompagnant le changement de millénaire. L’exposition peut pourtant être lue comme un “Best of” de la programmation de l’institution parisienne. Feldmann, Gonzalez-Torres, Richter, Fischli & Weiss, Gilbert & George, Gonzalez-Foester, Lévêque, Hains…, nombreux sont ceux à avoir bénéficié d’une exposition personnelle avenue du Président-Wilson. Nous y voilà : une exposition pour nous rafraîchir la mémoire.

- VOILÀ, LE MONDE DANS LA TÊTE, jusqu’au 29 octobre, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, mardi-vendredi 10h-17h30, samedi et dimanche 10h-19h, www.paris-france.org/musees

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : En veux-tu en voilà

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