À la croisée des chemins

L’exposition \"Paris-Bruxelles\" reprise et élargie

Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 737 mots

Capitale européenne de la culture, Bruxelles avait opté pour la ville comme thème général. Europalia apporte sa pierre à l’édifice en consacrant une vaste exposition au rôle qu’a joué, et que continue de remplir, Bruxelles au carrefour des cultures européennes.

BRUXELLES - Une exposition peut naître d’une frustration. C’est du moins ce qui semble transparaître du projet que Robert Hoozée a mené à bien pour le compte d’Europalia. Co-commissaire, en 1997, de “Paris-Bruxelles” dont la présentation parisienne n’avait soulevé qu’un faible intérêt, ce dernier a voulu reprendre la copie en l’élargissant. Délaissant, sans toutefois la négliger, la relation à Paris, “Bruxelles carrefour des cultures” entend témoigner de la situation de la capitale belge au centre de l’échiquier européen. En quelque 300 pièces empruntant aussi bien aux beaux-arts qu’à la musique, à la littérature qu’à l’architecture ou à l’opéra, la manifestation retrace deux siècles d’histoire jusqu’à toucher l’actualité d’une ville devenue, pour l’an 2000, l’une des capitales européennes de la culture.

Quatre sections
L’exposition est divisée en quatre sections. La première commence avec l’exil de David à Bruxelles et l’essor du style néoclassique avec Navez. Si le Romantisme ne transforme pas Bruxelles en lieu d’échanges, il en ira autrement avec le Réalisme. La présence de Courbet confirme une longue tradition ancrée dans le réel. Celle-ci nourrit alors un projet nationaliste qui vise à donner son identité au jeune État belge. L’argument, déjà développé lors de “Paris-Bruxelles” trouve un complément bienvenu avec les colonies d’artistes hollandais qui s’installent dans la capitale et nouent des liens étroits avec l’avant-garde naissante. Consacrée à la fin du siècle (1880-1914) la deuxième partie de l’exposition en retrace l’histoire en se fondant essentiellement sur le cercle des Vingt (1883-1893) puis sur La Libre Esthétique (1894-1914). Ici aussi, la relation à Paris fait l’objet d’une relativisation salutaire. Si l’Impressionnisme et le néo-Impressionnisme français trouvent à Bruxelles leur “caisse de résonance”, d’autres mouvements viennent en croiser la route rendant plus complexe, mais aussi plus riche l’histoire culturelle européenne : les liens qui unissent Bruxelles à l’Angleterre en font rapidement le lieu d’éclosion d’un Préraphaélisme original ; la germanophilie des cercles artistiques et littéraires belges ouvre des perspectives nouvelles vers Munich, Berlin ou Vienne. En poésie, en architecture, en peinture, en sculpture, au théâtre ou à l’opéra les échanges se multiplient et les influences se confondent pour mieux fertiliser ces nébuleuses que sont le Symbolisme ou l’Art nouveau.

L’axe parisien prédomine néanmoins. La troisième section le souligne par la négation. Si les avant-gardes du XXe siècle passent toutes par Bruxelles avant 1914, aucune ne parvient à y trouver réellement d’écho : expressionnistes, cubistes et futuristes y exposent sans parvenir à briser l’emprise d’une fin de siècle dominée par le Postimpressionnisme et le Symbolisme. Partant de 1918 pour atteindre 1980, cette partie de l’exposition témoigne d’abord d’un échec, que l’évolution de la scène artistique vient progressivement combler, avec la floraison d’un Surréalisme bruxellois qui tient à se distinguer du groupe parisien avec lequel il entretient des relations aussi étroites qu’orageuses. De Nougé à Dotremont, de Magritte à Broodthaers, ce besoin de différence s’impose avec force. Nombreux et riches, les échanges ne peuvent occulter le désir de se distinguer. D’où cette frénésie dans la recherche de l’autre qui conduira Cobra vers le Nord et les situationnistes vers le Sud. Lieu de passage traditionnel, Bruxelles évolue au tournant des années soixante en lieu d’essaimage répondant de la sorte à l’internationalisation et à la fragmentation de la vie culturelle moderne.

Prospective, la dernière section offre une lecture de l’actualité d’une ville dont le nom était synonyme de destruction du tissu urbain. Éclatée en d’infinis chantier, Bruxelles a connu depuis le début des années quatre-vingt un regain d’intérêt dont témoigne le nombre croissant d’artistes en résidence. Martyr des grands rêves utopiques des années cinquante-soixante, Bruxelles s’est transformé en laboratoire postmoderne d’un retour à l’humain : maisons éventrées, entrepôts vides, usines “en friche” et centre-ville déserté sont devenus le lieu d’une réappropriation qui, mode oblige, use et abuse de l’idée de citoyenneté. Un mouvement est en marche au sein duquel “Bruxelles 2000” entendait s’inscrire. Europalia est maintenant un acteur central pour que “bruxelliser” prenne désormais un sens positif.

- BRUXELLES CARREFOUR DES CULTURES, jusqu’au 5 novembre, Palais des beaux-arts, rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles. Tél. 32 (0) 2 507 85 94 ou www.europalia.com. Entrées de 100 fb à 300 fb (de 16 à 48 F) . Catalogue 320 pages, 1 950 fb (125 F).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : À la croisée des chemins

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