Parti pris : Erica Davies, Freud Museum

« La lutte n’est pas encore finie »

Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2000 - 666 mots

Directrice du Freud Museum, Erica Davies regrette le peu d’intérêt du gouvernement britannique pour son établissement.

LONDRES -  “La lutte n’est pas encore finie...” C’est sur ces mots de défi que Sigmund Freud concluait, en décembre 1938 sur les ondes de la BBC, son unique entretien radiodiffusé. L’enregistrement se déroulait dans son cabinet-bibliothèque qui accueille aujourd’hui le Freud Museum de Londres. Plus tôt la même année, la famille Freud avait fui Vienne et les persécutions nazies, s’installant dans une maison d’Hampstead réservée par Ernst, fils de Sigmund et père de Lucian. Fait des plus remarquables, les Freud emportent avec eux tous leurs biens, grâce à la générosité de la princesse Marie Bonaparte qui acquitte la taxe exigée par les nazis. Témoignages de la vie intellectuelle complexe du Vienne d’avant-guerre, les écrits et travaux de Freud, ainsi que sa bibliothèque et son importante collection d’antiquités sont conservés et acheminés en Grande-Bretagne.

En à peine plus de dix ans, le Freud Museum a proposé des activités tellement variées qu’il peut à présent s’enorgueillir de figurer parmi les centres culturels les plus dynamiques de Londres. Huit expositions consacrées à la vie et à l’œuvre de Freud ont été montées et huit autres, rassemblant les antiquités de sa collection, ont circulé dans le monde entier, au Japon, au Brésil, dans plusieurs villes des États-Unis. À Mexico, l’exposition actuelle remporte un immense succès avec quelque 30 000 visiteurs en cinq semaines. Le musée a largement participé à l’exposition “Conflict and Culture”, montée par la Library of Congress, et prêté des pièces pour des expositions présentées au Louvre, au Metropolitan, ou encore au British Museum. Conférences et rencontres ont été organisées, avec des intervenants venus de tous les horizons tels John Cleese, Jacques Derrida, Susan Hiller, Susie Orbach, Jonathan Miller, Elaine Schowalter ou Frances Partridge.

Collaboration avec des artistes
Mais l’idée la plus novatrice lancée par le musée concerne peut-être ses différentes collaborations avec des artistes. La magnifique œuvre de Susan Hiller, After the Freud Museum, est aujourd’hui à la Tate Modern, après avoir suscité un grand intérêt lors de son passage dans l’exposition “Museum as Muse”, au MoMA. Cornelia Parker a, elle, recueilli de la poussière sur le célèbre divan et extrait des plumes de ses coussins, pour composer une série de projections, et Sophie Calle a réalisé un parcours narratif à partir d’objets et de textes, dispersés dans le musée, entraînant le visiteur dans un jeu de devinettes entre réalité et fiction. Quant à Sarah Lucas, elle s’est surpassée avec Beyond the Pleasure Principle (au-delà du principe de plaisir), intervention sur le thème de la libido et de l’instinct de mort, sur un mode drôle et réfléchi.

Aujourd’hui les derniers mots de l’enregistrement de Freud ressemblent à une prophétie sur la première décennie d’existence de la collection. Aussi remarquables que puissent être les réalisations du musée, elles n’auraient pu voir le jour sans la bataille acharnée qui fut menée afin de rassembler des fonds. L’institution ne reçoit aucune subvention du gouvernement britannique et fonctionne depuis sa création grâce au soutien financier de la New-Land Foundation de New York. Mais cette dernière a beau se montrer généreuse, elle n’alloue au musée que 90 000 livres (environ 900 000 francs) par an, ce qui correspond à 40 % de son budget annuel de ces dix dernières années. La direction doit toujours se battre pour trouver les 30 000 à 50 000 livres manquantes afin de compléter un budget de 270 000 livres (environ 2,7 millions de francs). Et même alors, la situation reste frustrante. L’influence de Sigmund Freud, qui joue déjà sur trois siècles différents, a considérablement marqué les arts visuels du XXe siècle. Au cours des prochaines années, le musée devra fonder une association afin de pouvoir préserver son précieux patrimoine, d’en faciliter l’accès aux artistes et aux écrivains et d’élargir son programme culturel déjà riche et diversifié.

- The Freud Museum, 20 Maresfield Gardens, London NW3 5SX, 44 (0)20 7435 20002, www.freud.org.uk, ouvert du mercredi au dimanche, de 12h à 17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : « La lutte n’est pas encore finie »

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