Restitutions

Nigeria : non aux restitutions

Par Martin Bailey & Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2000 - 536 mots

Préoccupé par la corruption qui règne au Nigeria, l’un des plus éminents spécialistes des antiquités nigérianes, Frank Willet, demande que les objets saisis à la suite de pillages ne soient plus rapatriés dans leur pays d’origine.

LONDRES (de notre correspondant) - Ancien directeur du Hunterian Museum de Glasgow, Frank Willett avoue que c’est en désespoir de cause qu’il conseille d’adopter de telles mesures. Il s’en est expliqué dans le dernier numéro du Journal of Museum Ethnography : “Rien n’est plus déprimant que d’avoir passé ces quarante dernières années à essayer de démontrer que le peuple nigérian a une histoire et un patrimoine dont il peut être fier, pour finalement se rendre compte que ceux qui occupent à présent les postes importants n’ont jamais rien fait pour préserver ce patrimoine et exploitent ces richesses irremplaçables en permettant leur exportation illicite vers des marchands et des collectionneurs occidentaux.” L’expert rappelle que plusieurs vols ont été perpétrés au cours de ces dernières années dans les musées d’Abadan, d’Abeokuta, d’Esie, de Jos et d’Owo. Figure, par exemple, celui d’un tabouret ancien en bronze, la plus grande richesse du Musée de l’université d’Ifé, disparu lors d’une série de cambriolages commis en 1993 et 1994. Pièce très connue, et publiée à maintes reprises, le tabouret a refait surface aux États-Unis, “accompagné d’un permis de sortie du territoire valide ayant toutes les apparences d’un document officiel. Émis le 20 juin 1994 et signé par un agent de la  Commission nationale pour les musées et les monuments (CNMM), il porte la mention ‘après examen, pièce déclarée comme n’étant pas une antiquité’”, explique Willett. “On est en droit de se demander si cette autorisation à l’exportation relève de l’incompétence ou de la corruption”, conclut ce dernier.

Si l’ICOM (Conseil international des musées) a récemment sommé musées, collectionneurs et marchands de ne pas faire l’acquisition d’objets figurant sur sa “Liste rouge” et demandé au Musée du quai Branly de ne pas exposer deux terres cuites Nok, exportées illégalement (lire le JdA n° 105, 12 mai), Frank Willett reste, lui, convaincu que rendre au Nigeria les pièces incluses dans la “Liste rouge” serait à présent une erreur : “J’analyse les transactions qui s’opèrent sur le marché de l’art et j’essaie d’organiser le retour des pièces volées dans les musées nigérians depuis que j’ai arrêté de travailler pour le gouvernement du Nigeria en 1963. Et malgré tout, je recommande de ne pas rendre les objets.” Ce point de vue est partagé par John Picton, de la London’s School of Oriental and African Studies, qui, dans le même numéro de Journal of Museum Ethnography, estime que la prise de position de Frank Willett est “parfaitement justifiée”. Malgré ses propos, l’ICOM tient à renouveler son appel en faveur de la restitution des objets pillés ainsi que “son soutien aux professionnels nigérians qui, dans le cadre de la lutte contre le trafic des biens culturels, ont su tenir leurs engagements à plusieurs reprises”. “Le trafic illicite est la conséquence d’une demande occidentale”, rappelle l’organisation. Frank Willet termine lui son article sur une note d’espoir amère : “Nous venons tout juste d’apprendre qu’une plainte pour détournement de fonds a été déposée par le nouveau régime [nigérian] contre un membre de la CNMM”.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : Nigeria : non aux restitutions

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