Une laborieuse progression vers l’altruisme culturel

La Commission européenne se penche sur le contrôle de la circulation des biens culturels

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2000 - 1307 mots

La Commission européenne a rendu le 25 mai un rapport concernant l’application, depuis la création du marché unique en 1993, des textes européens sur le contrôle de la circulation des biens culturels. Mémento des difficultés de cheminement d’une réglementation communautaire sur les biens culturels, le rapport fait toutefois apparaître quelques progrès, en particulier l’acceptation des intérêts culturels des autres États membres. Beaucoup reste cependant à faire pour prendre en compte la conscience patrimoniale des voisins. Sur ce point le commerce semblerait plus convaincu que les administrations patrimoniales, surtout préoccupées de leurs trésors nationaux.

PARIS - La chronologie de la transposition en droit interne de la “directive restitution” par les États membres de l’Union ne peut certes pas être interprétée comme un classement des bons ou moins bons élèves du patrimoine (lire notre encadré). Elle confirme le civisme européen habituel des Scandinaves, et sans doute le degré d’intérêt pour la question des autres États. Dans ce sens il est significatif que les États clés du commerce de l’art européen (Angleterre, Pays-Bas, Belgique et France) se soient déterminés rapidement, malgré leurs traditions juridiques et réglementaires divergentes sur le sujet.

Le rapport de la Commission, après avoir rappelé l’économie du règlement communautaire et de la directive, s’attache à son application. Il constate que l’opinion des États membres est “presque unanimement positive en ce qui concerne la sensibilisation des protagonistes du commerce international”, mais qu’elle est “plus nuancée quant à la réelle diminution du nombre d’exportations illicites”. Explicitant ces opinions la Commission précise que les administrations nationales lui attribuent une plus grande “prise de conscience de l’existence – et de la nécessité de leur protection et défense – de biens appartenant au patrimoine culturel d’autres États membres (...), même si la priorité est donnée à la protection du patrimoine national...”

La Commission souligne que cette prise de conscience s’est traduite concrètement : textes juridiques, brochures d’information destinées au public et aux professionnels, appel à la vigilance pour les autorisations de sortie concernant des biens culturels d’autres États membres. Toutefois le rapport relève que “cet intérêt n’a pas été réellement concrétisé [...] et si le règlement a réussi à uniformiser au niveau communautaire les formalités et la documentation nécessaires à l’exportation des biens culturels, il n’a pas été accompagné par un réel changement des comportements et des attitudes en faveur d’une véritable protection communautaire des biens culturels [...] la protection demeurant centrée sur les biens appartenant aux patrimoines nationaux”. Les opérateurs du monde de l’art (grands musées, galeries d’art, entreprises de transport, marchands) estimeraient que “le règlement a posé des normes claires et relativement homogènes quant aux formalités auxquelles est soumis le commerce des biens culturels” et seraient conscients de la nécessité, avant de vendre ou d’exporter un objet, de “s’assurer que ce bien n’est pas illégalement sorti d’un autre État membre”.

Une difficulté majeure
La difficulté majeure semble bien celle des biens culturels présentés à l’exportation dans un autre État membre que celui d’où est originaire le bien : elle “réside dans le fait qu’il est très rare que l’État membre en question procède réellement à des vérifications ou à des demandes de renseignements auprès de l’État membre d’origine ou d’appartenance du bien. Généralement, les autorités se bornent à délivrer, sur la base d’une documentation parcellaire ou dénuée de tout lien avec l’objet, l’autorisation d’exportation, sans effectuer les vérifications approfondies quant à la provenance et à la légalité du bien”. La Commission observe que les consultations entre les États membres pour vérifier la régularité des transferts antérieurs sont réduites. Le rapport note cependant que les Pays-Bas et le Royaume-Uni semblent le faire plus régulièrement, ce qu’explique leur rôle marchand important. De la même manière les administrations nationales ne paraissent pas très exigeantes sur les dossiers d’origine des objets transférés depuis d’autres États et seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni signalent avoir refusé des autorisations de sortie  en l’absence de preuve de la régularité des transferts préalables.

Le rapport mentionne que la coopération administrative, instrument très efficace, reste peu utilisée. L’accès aux bases de données et aux fichiers des services compétents n’est pas encore articulé. L’organisation douanière reste fragmentaire, par exemple les deux tiers des États membres n’utilisent pas la faculté de limiter les bureaux de douanes compétents, ce qui offrirait l’avantage d’y disposer d’agents spécialisés. L’Allemagne, l’Italie, la Grèce ou l’Autriche estiment, pour des raisons sans doute divergentes, que cette centralisation n’est pas opportune. L’Espagne, la France ou le Portugal jugent au contraire que le regroupement permet une coopération plus attentive avec les professionnels du marché et la disponibilité d’agents mieux formés.

Le pragmatisme marchand rencontre l’intérêt patrimonial
Le degré de contrôle des États membres, et leur poids sur le marché international est très hétérogène. La Commission souligne ainsi que, à côté du Royaume-Uni, poids lourd du marché qui a délivré sur la période 38 000 autorisations (agrégeant catégories communautaires et nationales et tenant compte de l’effet transit de cet État), la France a accordé 8 000 autorisations, l’Italie : 2 800 et l’Allemagne : 1 800. Le rapport précise que les statistiques ne distinguent pas les sorties temporaires et définitives.

Dans la pratique, l’utilisation de la procédure de restitution semble encore réduite. Sur la période, la Commission n’a été avisée que de 12 notifications de découverte d’objets (dont 9 par le Royaume-Uni, 2 par l’Italie, 1 par la France et 1 par les Pays-Bas) et d’une demande de recherche (de l’Italie). Une seule action judiciaire en restitution a été signalée (cette demande de la Finlande à la justice britannique s’est soldée par une restitution à l’amiable avant tout jugement). La plupart des restitutions restent faites dans le cadre de la coopération administrative, mais la Commission n’en est pas toujours informée : le rapport n’en recense que 5 dont 3 par l’Italie, 1 par le Portugal et 1 par le Royaume-Uni. Dans ce lent cheminement, malgré ces informations fragmentaires, on peut trouver encourageant que le pragmatisme marchand rencontre l’intérêt patrimonial. Il n’est sans doute pas anodin que les États de transit semblent les plus désireux d’activer la coopération. L’évolution de l’ordre international rend leurs opérateurs sensibles à des actions de restitution qui peuvent, parfois lourdement, perturber leurs activités.

Cinq ans de retard, et l’engagement de plusieurs procédures d’infraction...

Le règlement communautaire du 9 décembre 1992 unifiant la procédure d’exportation des biens culturels et la directive du 15 mars 1993 établissant le principe et les conditions de la restitution des biens culturels illicitement transférés à l’intérieur de l’Union prévoyaient que les États membres devaient adresser tous les trois ans un rapport d’application à la Commission européenne, en charge d’en faire une synthèse d’évaluation pour le Parlement européen, le Conseil et le Comité économique et social. La Commission pointe immédiatement les difficultés de l’exercice en expliquant, n’ayant rien reçu en 1996 des États membres, qu’elle leur avait adressé un questionnaire et que “la plupart des rapports et des réponses reçus n’étaient pas exploitables�?. Il est vrai que nombre d’États n’avaient pas encore transposé en droit interne la “directive restitution�?. Ce n’est qu’en 1998, avec plus de cinq ans de retard, et l’engagement de plusieurs procédures d’infraction contre les États retardataires, que la directive s’appliqua en droit dans l’ensemble des États. Dans l’ordre des transpositions : le Danemark (23/12/1993), le Royaume-Uni (1994), la Suède (1994), la Finlande (16/12/1994), l’Espagne (23/12/1994), les Pays-Bas (9/3/1995), la Belgique (13/4/1995), la France (3/8/1995), le Portugal (1/9/1995), le Luxembourg (9/1/1998), l’Irlande (28/1/1998), l’Italie (30/3/1998), la Grèce (6/5/1998), l’Autriche (15/5/1998), l’Allemagne fermant la marche le 21/10/1998. En outre la Commission a observé que les textes nationaux de transposition n’étaient pas toujours conformes à la directive ; elle signale dans ce sens que certains États “ont utilisé le terme de ‘bonne foi’ comme condition préalable à l’indemnisation du possesseur alors que la directive ne parle que de ‘diligence’�? (le possesseur doit sinon démontrer sa bonne foi du moins prouver ses diligences lors de l’acquisition).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Une laborieuse progression vers l’altruisme culturel

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