Sculpture publique en crise

Un bilan des œuvres installées à Bruxelles

Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2000 - 457 mots

Placée aux endroits significatifs de Bruxelles, la sculpture a contribué depuis 1830 à forger l’identité nationale belge avant de souligner, symboliquement, les enjeux de la société moderne. État de la question en même temps qu’état des lieux, l’ouvrage édité par Patrick Derom témoigne d’une conception aujourd’hui en crise.

Deux contributions divisent le sujet en l’articulant à partir de la Première Guerre mondiale et sa vague de monuments aux morts. Spécialiste de la sculpture au XIXe siècle et conservateur aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Jacques Van Lennep s’attache à ce qu’on serait tenté de qualifier d’Âge d’or de la sculpture monumentale : l’identité nationale s’y forge un panthéon qui détaille autant les gloires passées que modernes. Godefroi de Bouillon répond à Léopold Ier et les comtes Egmont et de Hornes à John Cockerill. Minutieuse dans son approche, l’analyse démontre les enjeux symboliques de chaque sculpture installée souvent au terme de combats politiques et financiers animés. Ainsi, le monument à Charles De Coster, installé près des étangs d’Ixelles constitua tant un hommage maçonnique à la liberté de conscience qu’un acte de défi envers le pouvoir catholique. D’agrément ou civique, chaque statue est un message. Et Van Lennep de s’interroger sur la liquidation de cette mémoire à laquelle nous assistons encore, ne serait-ce que par l’indifférence qui pousse les édiles communaux à déplacer inconsidérément ou à poser côte à côte l’ancien et le moderne comme cela a encore été récemment le cas avec l’installation intempestive du discutable Phoenix 44 d’Olivier Strebelle occultant définitivement l’Ompdrailles de Charles Van der Stappen.

Le passage à ce qu’il est convenu de nommer la modernité signe un changement de ton. Aux objets de mémoire répond une vision avant-gardiste qui ne semble jamais avoir trouvé son moyen d’expression dans l’art dit public. Malgré son enthousiasme, Catherine Leclerq peine à convaincre le lecteur que cette sculpture “n’est plus liée à un acte dédicatoire, qui n’avalise plus le pouvoir et ne témoigne plus d’un discours idéologique”. De façon symptomatique, la part documentaire sur les conditions de la commande cède la place à un discours plus théorique qui élude les réalités concrètes qui font de la sculpture publique un exercice à la fois sociologique et artistique. Malgré quelques tentatives dans les années cinquante, le discours n’a jamais réellement trouvé à s’exprimer. Un sentiment de médiocrité domine l’essentiel de la production contemporaine. Entre des Communautés européennes dont les choix trahissent un réel mauvais goût et des initiatives locales dont les motivations – trop souvent démagogiques – surprennent, le lecteur cherche à comprendre les mécanismes d’un échec aussi politique qu’artistique.

- J. Van Lennep et C. Leclercq, Les Sculptures de Bruxelles, photographies de Vincent Everarts de Velp, Pandora-Galerie Patrick Derom, 364p., ill.n/b, 2 600 francs belges (env. 420 F).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Sculpture publique en crise

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