Abracadabra, la magie à l’égyptienne

Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2000 - 668 mots

Dans l’imaginaire collectif, l’Égypte est le berceau de la magie. Cette exposition-dossier se veut avant tout une synthèse des connaissances accumulées sur le sujet. Il n’est ici question ni de magie blanche, ni de magie noire, et toutes les précautions ont été prises afin d’éviter les dérives ou assimilations faciles. C’est surtout l’occasion de lire les œuvres des collections et des réserves à travers le filtre de la théurgie.

PARIS - Tout y est : figurines d’envoûtement, formules magiques, amulettes, talismans... Marc Étienne, conservateur au département des antiquités égyptiennes et commissaire de l’exposition, nous entraîne dans ce monde obscur, mais en toute sécurité ! Les murs peints en rouge ont vocation d’écarter tous les dangers. L’aspect abordé ici s’attache au Heka, une sorte d’arme que le dieu-soleil donne aux hommes et aux dieux pour se défendre contre les événements et l’intangible. Les premières vitrines nous familiarisent avec sa représentation divine : enfant, il est fils de Sekhmet (la déesse lionne terrible, qui elle-même nous observe du bout de l’exposition) ; homme, il est coiffé d’un hiéroglyphe l’identifiant.

L’évolution du parcours thématique est didactique  : les cartels sont clairs et accessibles. La hiérarchie des thèmes est à l’image de la structure sociale : du monde divin et royal, en haut de la pyramide, aux individus. Le papyrus d’Imenemsaouf (21e-22e dynastie) offre une des rares représentations du premier ennemi divin, Apophis le serpent. Cet être maléfique a le corps dardé de couteaux, le maintenant inoffensif.

Le péril identifié, il est essentiel de “visualiser” l’ennemi, de le concrétiser afin d’avoir prise sur lui. Le thème le plus représenté dans l’iconographie pharaonique est celui du captif en génuflexion, les mains attachées dans le dos. La sculpture en calcaire de présentation des captifs du Nouvel Empire est une image évidente de soumission des pays étrangers. L’État a recours à ces pratiques d’envoûtement qui ne sont donc pas strictement du domaine privé.

Si les magiciens ont la connaissance secrète des formules, chacun peut s’improviser apprenti sorcier dès lors qu’il connaît l’écrit. La condition première pour invoquer tout charme est de disposer d’une feuille de papyrus vierge, car pour les Égyptiens, dès que des mots sont inscrits, leur existence physique active le sens. Un ancien texte interférerait sur l’action voulue. Une encre spéciale est préparée pour l’occasion, et le rouge sera utilisé pour noter le nom des êtres dangereux. Le rite se déroule en deux étapes : tout d’abord une récitation orale, puis les instructions manuelles pour rendre le charme effectif. Cette seconde étape s’exécute sur une figurine confectionnée en cire, avec la terre du Nil, ou en faïence verte. Après le rituel, cette figurine est jetée dans un brasero (tel le chaudron de Tanis réalisé en terre cuite), car la destruction la plus radicale passe par le feu (l’équivalent d’une peine de mort). Si l’on veut provoquer la passion chez une femme, deux solutions. Vous pouvez rédiger un texte, comme Priskos à l’époque romaine : “Je te lie avec les chaînes dont on ne peut se défaire (...) pour que tu m’aimes, moi, Priskos (...) Amenez-la moi, folle de désir et avide de jouissance (...)” ; ou façonner une statuette en terre crue, que vous piquerez d’aiguilles (figurine du IIIe-IVe siècle). L’aiguille – ou le clou – n’a pas la connotation maléfique du vaudou, mais la fonction d’accrocher, de relier. Contre les piqûres de scorpions, les stèles guérisseuses (en calcaire ou en pierre dure) sont le remède : l’eau versée à la surface s’imprègne de la valeur performatrice du Verbe, et guérit le malade. Magie et médecine sont intimement liées.

Les pièces présentées n’ont pas vocation de chef-d’œuvre mais nous rappellent que l’art pour l’art en Égypte n’existe pas : chaque sculpture, chaque texte doit être efficace, le tout s’inscrivant dans le respect de l’ordre cosmique.

- HEKA, MAGIE ET ENVOÛTEMENT DANS L’ÉGYPTE ANCIENNE, jusqu’au 8 janvier, Musée du Louvre, tlj sauf mardi 9h-17h45, jusqu’à 21h45 le mercredi. Catalogue par Marc Étienne, éd. RMN, 128 p, 20 ill. coul., 80 ill. n&b, 140 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Abracadabra, la magie à l’égyptienne

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