Allier privé et public

Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2000 - 785 mots

Dans un pays qui vit encore, dans le domaine des arts plastiques, sur un volontarisme d’État, l’annonce par François Pinault et le maire de Boulogne-Billancourt, Jean-Pierre Fourcade, de la création d’une « fondation » sur l’île Seguin marque un virage dans la politique culturelle.

Un collectionneur et opérateur du marché de l’art décide, avec les moyens financiers dont il dispose et sa connaissance des réseaux, de devenir, lui aussi, un acteur important de la diffusion culturelle. En homme d’affaires avisé, François Pinault est partie prenante de la recomposition des capacités industrielles et financières qui s’installent sur le créneau très spéculatif du marché de l’art. Il est le principal actionnaire de la société Christie’s, à rayonnement international, propriétaire d’une charge de commissaires-priseurs parisienne, d’un réseau de vente de productions d’art dérivé. Dans un pays qui revendique la pertinence d’un processus historique, donc culturel, d’une économie mixte et ce, depuis Colbert, y a-t-il lieu de s’offusquer ? Restait-il encore un pan de l’activité culturelle qui ne bénéficiait pas, au-delà d’interventions ponctuelles de mécénat industriel, d’apports de capitaux privés, d’ingénierie et de management industriels ? Qu’à cela ne tienne ! Arrive M. Pinault ; et demain, sans doute, M. Arnault.

Faut-il pour autant accepter sur l’air de la modernité à la fois ce débat stérile d’une compétence, d’un savoir-faire, d’un dynamisme du marché face à l’inertie d’institutions culturelles ? Peut-on sans broncher accepter l’impéritie de collectivités territoriales qui se défausseraient avec soulagement de leur responsabilité d’aménagement ? Peut-on imaginer l’avenir, l’espoir, sous le seul prisme d’équations comptables, sans s’apercevoir que partout en France – comme en Europe et dans le monde – les réseaux artistiques vivent, se pensent autrement, et que l’innovation, que l’on pourrait attendre d’une initiative privée, ne se traduira pas, in fine, par l’érection d’un nouveau temple de la culture ?

S’il est encore un temps pour une réflexion citoyenne, posons deux questions : comment organiser cette politique alternative portée par des opérateurs privés ? Comment enrichir cette expérimentation pour jeter les bases d’une coopération nécessaire entre les actions publique et privée afin de préserver l’intérêt général dès lors qu’il s’agit de diffusion culturelle ?

Séparation étanche
La loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat stipule dans son article 20 qu’il est interdit à tout groupement n’ayant pas le statut de fondation reconnue d’utilité publique d’utiliser dans son titre ou de faire figurer dans ses statuts, contrats, documents ou publicités l’appellation de fondation. Sauf à imaginer que M. Pinault veuille créer une fondation d’entreprise (laquelle ?) ce qui ne pourrait s’entendre, force est de constater que son projet, tel qu’il est expliqué à ce jour, s’apparenterait à un centre d’art ou à un espace du type Espace Cardin ou Espace Ricard. Pourquoi pas ? La fondation reconnue d’utilité publique poserait automatiquement les problèmes de l’identification de la collection et de sa pérennité, au-delà des problèmes patrimoniaux et successoraux de M. Pinault et de l’introduction, dans ce dispositif, de la puissance publique.

Nul n’y verrait d’inconvénient mais est-ce bien le propos de M. Pinault qui verrait dès lors se poser le problème général d’une clarification dans ses multiples propositions, voire d’une séparation étanche de sa fondation par rapport à ses autres activités ?

Nous entendons bien ce que nous dit le président du Centre Pompidou, Jean-Jacques Aillagon, sur certaines dérives constatées, en la matière, aux États-Unis et les contraintes budgétaires des politiques publiques d’acquisition par rapport à la puissance de feu que peuvent développer ces opérateurs de marché.

Partant du principe qu’il serait vain de ne pas reconnaître l’intérêt d’une initiative privée sans aucun doute très gratifiante, demain, pour le public, il semblerait utile et nécessaire que la collectivité d’accueil de ce projet, en liaison étroite avec le ministère de la Culture et de la Communication, puisse donner un cadre original, valant exemple pour le futur, d’une expérimentation alliant des capacités financières, des réseaux, des experts dont ceux du ministère, des institutions françaises et européennes pour définir et développer une nouvelle politique d’accueil des artistes, des professionnels, du public. Ce futur centre pourrait bénéficier par ailleurs dans le cadre d’un dispositif retoiletté de défiscalisation, de contributions financières de grands groupes industriels et en premier lieu, pourquoi pas, Renault.

Enfin , l’État et Renault  avec les collectivités territoriales dans le cadre du Syndicat mixte du Val de Seine regroupant les six communes mitoyennes, devraient s’engager dans un programme immobilier d’accueil d’artistes parce que la diffusion culturelle se nourrit aussi de cette proximité territoriale. Est-ce irréaliste d’imaginer que vive pleinement cette mémoire ouvrière, que l’exaltation et la joie du progrès, portées par des générations, nous permettent de définir un projet qui fasse sens afin de ne pas couper la chaîne de transmission des savoirs ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Allier privé et public

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