Quand M. Jourdain faisait des meubles

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2000 - 691 mots

Pour sa réouverture, après neuf mois de travaux, la galerie Doria s’intéresse à Francis Jourdain (1876-1958) auquel elle consacre une rétrospective en présentant 150 de ses créations sobres et dénuées de tout ornement. L’occasion de faire plus ample connaissance avec ce créateur, fondateur de l’Union des artistes modernes avec Mallet-Stevens, Chareau et Perriand, dont l’œuvre aménage une transition entre l’Art nouveau et l’Art déco.

PARIS - Peintre, décorateur, créateur de meubles, critique d’art et écrivain, Francis Jourdain (1876-1958) était un homme curieux de tout et éclectique. Passionné par les mouvements d’avant-garde, proche des Nabis – on le baptisa le nabi social en raison de ses engagements à gauche – , il peint des toiles imprégnées de l’humanisme serein de Bonnard et de Vuillard avant de renoncer soudainement à la peinture vers 1914. “Comment ai-je pu, sans aucun don, me tromper sur moi-même, au point de prendre pour une vocation de peintre ce qui n’était que l’amour de la peinture, tout au plus l’intelligence de la peinture.” Il se consacre alors pleinement à son métier d’architecte-meublier. Influencé par le texte de 1908 “ornement et crime” de l’architecte et essayiste viennois, Adolf Loos, il crée des meubles rigoureux et sobres, faits de matériaux simples. Il puise dans le vivier de l’Arts and Crafts mais aussi dans les créations Art nouveau de Gustave Serrurier-Bovy. Ignorant les matériaux modernes que sont le fer, le verre, le caoutchouc, il se concentre sur le bois utilisant les plus simples comme les plus précieux : frêne, sapin, chêne clair et foncé, acajou, sycomore et ébène de Macassar. Certains sont peints de couleurs vives, de rouges, de bleus. Au début des années dix, il crée les ateliers modernes à Esbly (Seine-et-Marne) où il produit et commercialise son mobilier dit “interchangeable”. Il est en 1929 l’un des fondateurs de l’Union des artistes modernes aux côtés de Chareau et de Mallet-Stevens.

Un bureau-secrétaire créé pour le directeur de la Samaritaine
Denis Doria, qui collectionne les œuvres de Francis Jourdain depuis quinze ans, présente dans sa galerie, parallèlement à l’exposition du Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis (“Francis Jourdain, un parcours moderne”, jusqu’au 18 décembre), 150 pièces du créateur parmi lesquelles figurent des meubles, des luminaires, de la céramique et des dessins. En vedette, un bureau-secrétaire en bois de corail, loupe d’amboine et métal argenté, orné à l’intérieur d’acajou massif et de poirier noirci. On connaît deux exemplaires de ce modèle qui a été exécuté à l’origine, vers 1920, pour le cabinet de travail du directeur de la Samaritaine. Cette pièce, qui, fermée, se présente comme un meuble d’appui, devient une fois ouverte un véritable secrétaire, et témoigne des recherches fonctionnalistes du créateur. On remarquera parmi ses meubles interchangeables – meubles combinables à l’infini, commercialisés au moyen de catalogues de ventes par correspondance – une bibliothèque de 1919 en acajou massif et placage de zebrano (500 000 francs). À noter aussi une salle à manger comprenant une table ovale en frêne massif et placage de frêne et poirier noirci, six sièges et deux fauteuils (500 000 francs), un grand bureau en merisier massif et placage de merisier et un guéridon en noyer massif et placage de noyer (150 000 francs). Ce dernier a été réalisé en plusieurs versions dans différents aménagements conçus par le décorateur. L’un deux, provenant de la collection du critique d’art Georges Besson, est conservé au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis.

De ses luminaires, on retiendra un exceptionnel plafonnier à structure en métal patiné et verre dépoli sur un socle en noyer, créé dans le but de se fondre avec la structure de la pièce comme un prolongement de l’architecture (600 000 francs), et un lustre en fer forgé à motifs de spirale, orné de pâte de verre de couleur jaune vif (300 000 francs). Après cinq semaines d’exposition, Denis Doria avait vendu environ un tiers des pièces exposées. Il a reçu la visite de grands décorateurs comme Thierry Despont ou Peter Marino mais aussi de conservateurs français et étrangers.

- Rétrospective Francis Jourdain, jusqu’au 23 décembre, galerie Doria, 1 rue des Beaux-Arts, 75006 Paris, tél. 01 43 25 43 25. Tlj sauf dimanche et lundi, 11 h-19 h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : Quand M. Jourdain faisait des meubles

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