L’actualité vue par Henri Loyrette

Directeur du Musée d’Orsay

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2000 - 1382 mots

Âgé de quarante-huit ans, directeur du Musée d’Orsay depuis 1994, Henri Loyrette y était conservateur dès 1978, avant même l’ouverture de l’établissement. Il a été commissaire de nombreuses expositions portant principalement sur le XIXe siècle, comme celle des \"Natures mortes\" de Manet, actuellement présentée. Il commente l’actualité.

En dépit d’une opposition gouvernementale répétée, la discussion budgétaire a vu une troisième tentative parlementaire pour intégrer les œuvres d’art dans l’impôt sur la fortune…
Il s’agit d’une mesure catastrophique pour les musées nationaux et pour le marché de l’art en France. Il y a vraiment une incompréhension de la part de certains hommes politiques, peut-être un manque d’information. Il faut donc expliquer de nouveau que l’art n’est pas que spéculation. Il est vrai que depuis une vingtaine d’années, la constitution rapide de certaines collections destinées à être revendues très rapidement, et donc à réaliser des profits, a donné l’impression que collectionner ne se faisait que dans une tactique marchande. Nous avons donc souffert de certaines opérations conçues dans cet esprit. Mais en France, la très grande majorité des collectionneurs n’a pas cette attitude. Préconiser ce genre de mesures revient à décourager définitivement les collections, ou à les rendre secrètes et à favoriser une sorte de marché occulte. C’est aussi rendre très difficile les expositions parce que, pour des raisons évidentes, les propriétaires ne montreront pas ce qu’ils possèdent. C’est donc rendre notre métier difficile. Enfin, pénaliser ceux qui systématiquement ont montré et prêté leur collection est profondément scandaleux. Déjà, la taxe à l’importation de 5 % n’est pas favorable aux collectionneurs français. La donation capitale que nous exposons actuellement, comprend des œuvres principalement achetées à l’étranger, pour lesquelles le donateur a payé, à chaque fois, cette taxe à l’importation.

Un tableau de Le Nain, Le Reniement de Saint-Pierre, acheté par un marchand français, vient d’être interdit de sortie. Si l’État veut le conserver sur le sol français, il a désormais trois ans pour rassembler les fonds pour l’acquérir, puisque le classement de l’œuvre est devenu une hypothèse d’école depuis l’affaire du Jardin à Auvers.
L’État n’a pas définitivement renoncé au classement. Le Cercle de la rue Royale de Tissot, où malheureusement les propriétaires ont refusé notre proposition d’achat au prix qu’ils avaient préalablement fixé, a été classé après l’affaire du Van Gogh. En revanche, il n’est plus question de léser les propriétaires, ce qui représente un progrès considérable. L’État doit se donner les moyens d’acquérir les œuvres qu’il souhaite retenir en France. C’est un véritable problème pour nous, surtout dans le domaine impressionniste et post-impressionniste où les œuvres atteignent des prix infiniment supérieurs aux crédits dont nous disposons. La première version de la loi de 1992 était déjà un progrès par rapport à la procédure de rétention en douane. La logique veut que, d’ici trois ans, l’État réunisse les fonds nécessaires à l’achat du Le Nain. Dans ce cas précis, j’observe néanmoins qu’une demande de certificat aurait dû être déposée avant la vente, attitude normale lorsque l’on pressent que l’œuvre va dépasser le million de francs, ce qui pourtant n’a pas été fait…

Cette “logique” pose la question des crédits d’acquisition qui stagnent…
C’est vrai, mais depuis quelques années, nous avons bénéficié d’un progrès considérable : le Fonds du Patrimoine. L’acquisition de certaines œuvres, comme le Portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes, n’aurait pu être faite sans son apport, mais aussi sans fonds privés. Il est évident maintenant que lorsque vous achetez un tableau de plus de 40 millions de francs, vous devez compter sur du mécénat privé. Le vrai problème pour nous – j’imagine que c’est aussi le cas du Musée national d’art moderne – survient lorsque l’œuvre dépasse 100 millions de francs ce qui, compte tenu du marché actuel, n’est pas rarissime. Nous sommes totalement démunis. Nous avons ainsi dû renoncer tristement à l’acquisition d’un portrait de Degas. Légalement, nous aurions pu le retenir définitivement, mais, je le répète, nous utilisons cette mesure très modérément.

N’est-ce pas une défaillance de l’État de ne pas conserver les œuvres patrimoniales ?
Il ne faut pas systématiquement attaquer l’État en France lorsque l’on voit certains pays, par exemple la Russie, où les questions de fonctionnement des musées se posent de façon aiguë, d’abord pour le paiement des salaires. Même si des problèmes se posent toujours, l’État en France fait des efforts considérables pour la gestion de ses musées. Ce type d’acquisitions est tout à fait exceptionnel, il ne faut donc pas généraliser. L’État assure globalement et courageusement sa mission de service public. Que nous soyons obligés à faire appel à du mécénat n’est pas une chose condamnable en soi ou dont nous aurions à nous plaindre.

L’échec de la constitution de la Maison du cinéma en tant qu’établissement public relance la question de l’avenir du Musée du cinéma. Un tel musée est-il souhaitable à Paris ?
Il est non seulement souhaitable mais indispensable, parce qu’il existe déjà ! Il y a des collections, réunies par Henri Langlois et enrichies ensuite par des ensembles considérables. Si ce musée n’existait pas, de nombreux fonds partiraient pour l’étranger. La constitution d’un Musée du cinéma me semble donc être une opération de première nécessité.

Trois nouvelles sculptures viennent d’être installées dans le jardin des Tuileries, complétant le programme proposé par l’artiste Alain Kirili.
La sculpture contemporaine aux Tuileries n’est pas une nouveauté : au XIXe siècle, on en installait déjà ! André Malraux a poursuivi cette politique avec Maillol. L’initiative de Kirili s’inscrit donc dans une tradition. Mes sentiments sont mitigés. Non parce que l’on détruirait le jardin du XIXe – bien qu’il y ait eu des opérations discutables comme l’enlèvement des grands socles qui gisent maintenant à Saint-Cloud – mais par manque de risque. Je regrette la manière dont cette sculpture est disposée. L’admirable Dubuffet s’élève de façon formidable près du Jeu-de-Paume, mais les Germaine Richier flottent sur un carré d’herbe, les Belmondo semblent posés sans réflexion. L’ensemble paraît un peu aléatoire et indécis. Il n’y a pas eu, aussi, de programme véritable de commandes, ce qui est vraiment dommage. On a plus l’impression d’un énième musée de sculptures en plein air, d’une opération comme celle réalisée sur les Champs-Élysées, que d’une installation véritablement voulue et concertée. Au fond, je regrette toujours la présence de Clara, Clara de Serra. C’était magnifique et sans doute une des plus belles intrusions de la sculpture contemporaine aux Tuileries. La sculpture a été exilée ; je le regrette vraiment.

La passerelle Solferino devait relier votre musée aux Tuileries. Elle est toujours fermée, même si des téméraires la franchissent…
Je suis un de ces téméraires. Je n’ai ni glissé ni tremblé et c’était pourtant à la fin de l’hiver dernier, au plus fort des tempêtes. C’est un admirable ouvrage, et d’une commodité certaine, ne serait-ce que pour Orsay ! Je ne peux donc que déplorer qu’elle ne soit pas ouverte.

Le Mois de la Photo fête ses vingt ans.
Il a largement contribué à une politique qui porte enfin ses fruits. Même si nous n’atteignons pas encore la fréquentation de nos expositions de peintures, le succès de nos trois dernières expositions photographiques – “La comtesse de Castiglione”, “La Commune photographiée” et “Le Champ des étoiles” – est très frappant. Nous n’aurions pu avoir une telle affluence quinze ans auparavant. Une exposition de photographies en 1986-1987 était quasiment un échec. Désormais les catalogues se vendent bien. En 2003 nous consacrerons une saison entière à ce médium, sur le thème de l’invention photographique avec des expositions consacrées au daguerréotype, une autre traitant de la relation peinture/photographie à l’époque des Nabis, une troisième sur Fox Talbot. Cette série aurait été inenvisageable il y a cinq ou six ans.

Quelles sont les expositions récentes qui vous ont marqué… ?
“Voilà”, que j’ai trouvé passionnante, avec en particulier une fascination pour le long-métrage réalisé à l’initiative de Suzanne Pagé sur Gilbert & George ; à la chapelle de la Salpêtrière l’installation d’Anselm Kiefer bien sûr, un artiste qui sait se renouveler. J’ai également beaucoup apprécié la beauté des pièces de la collection Barbier-Mueller présentées à la Fondation Mona-Bismarck, et la correspondance très efficace opérée d’une civilisation à l’autre. Enfin je voudrais citer des expositions beaucoup plus modestes dont on parle peu, réalisées par certains collègues de province, comme l’exposition “Maximilien Luce” à Mantes-la-Jolie, “Braquaval” à Abbeville, ou “Jean-Victor Schnetz” à Flers. Ces conservateurs font avec des bouts de chandelles, mais souvent aussi avec l’appui de leur municipalité, des travaux de première nécessité, ce qui demande à être encouragé.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Henri Loyrette

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