Un Cézanne saisi

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2000 - 567 mots

À la demande des héritiers Bernheim-Jeune, la justice française a ordonné la saisie une toile de Cézanne appartenant à la collection Rau, et actuellement exposée au Musée du Luxembourg. Le tableau est pourtant loin d’être inconnu.

PARIS - “Prévenu par l’Art loss register de la présence de la Mer à l’Estaque de Paul Cézanne dans la collection Rau, nous avons, dès février 2000, signalé par courrier à la Fondation que ce tableau nous avait été volé pendant la guerre”, explique Michel Dauberville. Le petit-fils du galeriste Josse Bernheim-Jeune se dit d’ailleurs étonné de la venue de la toile à Paris pour l’exposition “De Fra Angelico à Bonnard, chefs-d’œuvre de la collection Rau” (lire le JdA n° 111, 22 septembre). À sa requête et à celle de son cousin, Guy-Patrice Dauberville, l’œuvre a été placée le 10 octobre sous saisie conservatoire dans les salles du Musée du Luxembourg, laissant au public la possibilité d’admirer l’huile jusqu’au 4 janvier. Pour Marc Restellini, commissaire de l’exposition, la bonne foi du docteur Gustav Rau est évidente, elle correspond à l’historique du tableau relaté par Sotheby’s lors de sa vente en 1981 : le tableau aurait été vendu par Gaston Berheim de Villiers au new-yorkais Sam Salz avant-guerre puis serait passé dans les mains de Mme Richard J. Bernhard et de Wildenstein.

“Sam Salz a effectivement acheté beaucoup de pièces auprès de Gaston, le frère de mon grand-père après la guerre. Il dit avoir acheté le tableau en 1936, il l’a en fait acheté en Suisse dans les années 45-46, le tableau appartenait à Josse. En 1941, il se trouvait à la galerie dans son coffre personnel où il a été volé. Il est indiqué dans le Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre sous le numéro 1947”, corrige Michel Dauberville. La toile aurait alors été acquise par Salz auprès de la famille suisse Janninck-Veraguth. Les héritiers Bernheim-Jeune indiquent même avoir fait part de leur version des faits en 1981 auprès de Sotheby’s, se heurtant à une fin de non-recevoir. “Nous sommes intervenus en 1981, mon père et mon oncle étaient encore en vie à l’époque. Cela n’intéressait personne, nous n’avons pu faire une action que maintenant où les juges sont sensibilisés à l’affaire”, regrette Michel Dauberville. La maison de vente est d’ailleurs conviée à une réunion regroupant Michel Dauberville, un représentant de la Fondation Rau et un membre du ministère des Affaires étrangères en charge du dossier. “L’attitude du Dr Rau face au nazisme a toujours été très claire, il a d’ailleurs fui l’Allemagne pendant la guerre. Si le tableau a vraiment été volé, il le rendra”, commente Marc Restellini, tout en ajoutant que l’attitude de Sotheby’s a été plus que légère. Michel Dauberville s’accorde sur ce point. Quant à l’auctionneer, il ne souhaite pas s’étendre sur une affaire actuellement traitée par la justice. Reste au bénéfice du Dr Rau qu’il était loin de dissimuler ce tableau : pièce charnière dans l’œuvre de Cézanne, il a été exposé en 1993 à Marseille lors de “L’Estaque, naissance du paysage moderne”, et en 1996 les foules l’ont admiré au Grand Palais pour la rétrospective Cézanne. Sa localisation était signalée dans le catalogue, un best-seller de la Réunion des musées nationaux (Rmn). Michel Dauberville ne s’en souvient pas, et l’Art loss register, organisme privé, à l’origine de la “découverte” du tableau dans la collection Rau n’a commencé ses recherches qu’en octobre 1999.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : Un Cézanne saisi

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