Expériences

Au-delà du réel

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 767 mots

La galerie Françoise Paviot se focalise sur les usages scientifiques de la photographie, du XIXe siècle à nos jours.

Paris - Science ou art ? Cette question n’en finit pas de coller à la photographie, baptisée au XIXe siècle le « bel art-science ». De fait, l’exposition sur la photographie scientifique présentée à la galerie Françoise Paviot, à Paris, offre plusieurs entrées possibles. Segmenté de manière thématique et didactique, le parcours impose une lecture lente. Car pour y trouver un intérêt autre que scientifique, il faut libérer son imagination, s’abandonner à un certain émerveillement primitif. Et au final, il n’est pas impossible que le visiteur cède au constat de l’historien Robert Hunt : « Les phénomènes de la réalité sont plus surprenants que les fantômes de l’idéal. La vérité est plus étrange que la fiction. Bien des découvertes de la science nous donnent à contempler des sujets d’une nature véritablement poétique. »
Garante du visible, la photographie s’est échinée à rendre compte de l’invisible, notamment des séquences du mouvement. Le Britannique Eadweard Muybridge comme le Français Étienne-Jules Marey s’attelleront à le décomposer. Ces pionniers trouveront un prolongement dans les années 1930 avec l’Américain Harold Edgerton, inventeur du flash électronique. Le procédé stroboscopique sera même récupéré par la publicité comme en atteste un tirage de Ralph Bartholomew déconstruisant le geste d’une femme sautant à la corde pour la marque Playtex !
Mais la dissection du mouvement ne suffit pas. C’est l’univers tout entier, la voûte céleste, que l’objectif tentera de ramener à l’échelle du papier. « C’est à partir du moment où la photographie a reçu d’importantes applications à l’astronomie qu’elle a commencé à être comptée comme un art utile, respectable, pouvant être cultivé par des hommes de sciences », observait en 1891 Jules Janssen, membre de l’Institut et directeur de l’Observatoire de Meudon. D’où une large part réservée dans l’exposition à l’observation du ciel. Que dévoilent ces macrocosmes ? Des tâches abstraites sur la surface du Soleil, photographies en 1885 par Jules Janssen. Ou encore les différentes phases de la planète Mars, comme dans ce cliché d’Earl C. Slipher daté de 1907. Un phénomène fait toujours mouche : l’éclipse du Soleil, notamment celle du 17 avril 1912 dont l’exposition offre plusieurs variantes. Le regard s’attarde plutôt sur une étrange mosaïque de tirages argentiques de la Nasa. L’agence spatiale américaine avait envoyé entre 1966 et 1968 sept sondes pour explorer la surface de la Lune et choisir des sites d’alunissage pour la navette Apollo. Il s’agit là d’un objet indubitablement scientifique, l’heure des prises de vue étant indiquée à la seconde près sur chaque petite languette de papier. Les maladresses propres au genre documentaire se perçoivent même dans la vue de l’ombre de la sonde. Mais, Agnès de Gouvion Saint-Cyr remarque avec justesse dans le catalogue de l’exposition « Dans le champ des étoiles » (1), que ces photographies « représentent une subtilité de tirage – différents grades de papier ont été utilisés pour rendre l’image plus lisible et délicate – et surtout une tentative de rupture avec le temps photographique que n’aurait pas reniée David Hockney ».

Du naturel au surnaturel
En voulant percer le visible, la photographie s’attaquera à la fois au macro et au micro, comme le montre une représentation de bacille par Friedrich Theuer. Découverte par Wilhelm Conrad Röntgen, la radiographie générera une multitude d’expériences amateur dans le monde. Les Paviot affichent notamment celles du pharmacien Georges Lefort. On n’échappe évidemment pas au grand classique du genre, la main, ni à l’habituel bestiaire de serpents et batraciens. Lefort joue même « le deux en un » avec une radio d’une vipère ayant avalé une grenouille.
Du naturel au surnaturel, il n’est qu’un pas. En flirtant avec le magnétisme, la scénographie de la dernière salle explore le potentiel fictionnel de la science. Cette conclusion permet d’insérer quelques artistes contemporains, par le biais d’un parallèle formel, ou de manière un peu tirée par les cheveux. Ainsi la présence dans cet accrochage d’une photo de Blanca Casas-Brullet n’a guère de légitimité, si ce n’est en raison de la présence d’une mouche sur un visage ! Sans doute eût-il été plus judicieux de faire intervenir davantage d’artistes dans la section astronomique. Un lien aurait ainsi pu se dégager entre la science et les explorations poétiques et magiques d’un Man Ray ou d’un Raoul Ubac.

(1) organisée en 2000 au Musée d’Orsay, à Paris.

YES INDEEED !, PHOTOGRAPHIES SCIENTIFIQUES XIXe, XXe et XXIe siècles, jusqu’au 15 mars, Galerie Françoise Paviot, 57, rue Sainte-Anne, 75002 Paris, tél. 01 42 60 10 01, tlj sauf dimanche et lundi 14h30-19h et sur rendez-vous.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Au-delà du réel

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