Ventes aux enchères

Guerre de chiffres

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 593 mots

Quelques semaines après l’annonce du projet de loi controversé émanant des sénateurs Philippe Marini et Yann Gaillard, prétendant renforcer le pouvoir du Conseil des ventes volontaires (CVV), le président de cette autorité, Christian Giacomotto, a dévoilé le 20 février ses statistiques partielles sur le marché hexagonal.

Avec un ton cinglant d’instituteur, il a souligné l’érosion des parts de marché de la France, en baisse de 2 % par rapport à 2006, et surtout en recul de 12,23 % vis-à-vis du reste du monde. Pas vraiment une révélation ! Cette dégringolade chronique n’est que la suite logique d’une fiscalité désastreuse, d’une réglementation tatillonne et de l’inertie de certains acteurs français, Drouot en tête.

La méthodologie appliquée au graphique sur l’évolution du marché mondial des ventes aux enchères se révèle assez olé olé. Le CVV aborde dans sa globalité le marché français, et en partie, celui allemand, autrichien ou suisse. Mais il ne raisonne qu’en termes de maisons de ventes et non de pays pour le reste du monde. Faute d’offrir des chiffres d’ensemble concernant les marchés britannique et américain – dont on ne connaîtra ni l’ampleur ni la progression –, les données fournies se révèlent approximatives. Vu la myriade de maisons de ventes présentes de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, le recul français devrait être même encore plus aigu !
La suite du document souligne un mouvement de concentration des sociétés de ventes volontaires : 3 % d’entre elles réalisent 44 % des ventes. Plus troublant, les ventes en régions auraient chuté de 28 %. Pour le CVV, cette érosion serait liée principalement aux opérateurs non régulés, comprenez eBay, lequel s’arrogerait la part du lion avec 103 millions d’euros de ventes de biens culturels en 2007. Interrogé, le site Internet conteste ce chiffre, sans pour autant fournir de données officielles. Selon Philippe Limouzin-Lamothe, président de l’Observatoire du marché de l’art et du mouvement des biens culturels, le « catastrophisme enfonce un peu plus le marché français dans sa routine. Les gens qui ne se sentent pas portés ne seraient pas enclins à prendre des initiatives. Je ne doute pas [de la validité] des chiffres du CVV, mais je ne partage pas son interprétation. Les ventes aux enchères sur eBay ont une influence marginale qui ne touche que certains secteurs comme les livres ou les estampes. Certaines sociétés en province n’ont pas su utiliser ce médium. »

Si tant est qu’eBay sollicite un jour un agrément – hypothèse improbable –, il resterait sans doute aussi performant, et, de fait, inquiétant pour la province. Le Symev, Syndicat national des maisons de ventes volontaires, ne cache pas son étonnement devant ce net recul de la province. Mais plutôt que d’ergoter sur les chiffres, le syndicat réserve sa charge contre la proposition de raffermissement du CVV, préconisé comme « guichet unique » par le duo Marini-Gaillard. « Il est paradoxal que Christian Giacomotto nous dise qu’on se fait manger par les États-Unis et bientôt la Chine, et qu’il dise en même temps que le CVV est une merveille qu’on nous envie alors que, dans tous les pays où le marché est fort, ce type de structure n’existe pas », déclare Hervé Chayette, président du Symev. Outre la consolidation du pouvoir disciplinaire et discrétionnaire du président du CVV, d’autres points de la proposition de loi irritent le syndicat : l’indemnisation ridicule proposée en contrepartie de la suppression des offices de commissaires-priseurs judiciaires, le privilège des notaires et huissiers pour la conduite d’une vente, et plus généralement la complexité d’une loi, bourrée de règles mais aussi d’exceptions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Guerre de chiffres

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