PAROLES D’ARTISTE

Guillaume Leblon

« Mes objets ont souvent une échelle “tordue”? »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 760 mots

Entre miniature et monumental, informe et formel, fonctionnalité contrariée et importance de la structure, Guillaume Leblon (né en 1971) occupe les espaces du Domaine de Kerguéhennec, à Bignan (Morbihan).

Pouvez-vous nous parler des Maisons sommaires que vous présentez au Domaine de Kerguéhennec ?
À chaque extrémité de l’espace, j’ai placé deux structures (Maison sommaire #1 et #2, 2008) qui sont des débuts de construction de maisons. Elles ont été arrêtées à un stade primitif : deux plateaux, des piliers porteurs et un escalier pour l’une d’elles. Ces structures sont fabriquées en médium noir teinté dans la masse. Leur hauteur est de 2,50 m, mais leur échelle est un peu biaisée. La hauteur entre les deux niveaux n’est pas utilisable, c’est juste un peu trop bas, et le spectateur n’est pas invité à marcher sur le plateau.

Ce jeu sur les dimensions marque-t-il une volonté de contrarier l’impulsion première du spectateur face à des pièces de cette ampleur ?
Il s’agit d’une projection. Ce que je montre en vis-à-vis de ces pièces questionne également beaucoup l’échelle, le rapport entre le corps et l’œuvre. Plus loin, Vue depuis l’entrée vers l’escalier (2004-2008) est une sculpture traitée comme une image, c’est-à-dire que c’est une pure projection. Le visiteur se trouve face à un escalier en colimaçon qui pénètre dans le plafond. Or tout est faux et réalisé en carton blanc. Il faut mener l’enquête pour découvrir que ce n’est qu’une image qui conduit à un étage qui n’existe pas. Il est finalement assez fréquent que, dans mon travail, les objets aient une échelle juste un peu trop petite ou trop grande.

Vous exposez aussi Models in a Box (2003-2004), de petites sculptures réunies dans un carton. Qu’est-ce qui vous intéresse précisément dans les jeux d’échelles ?
Le questionnement de l’échelle vient presque naturellement car ces petits objets sont ce que j’appelle des « objets d’intention », qui n’ont même pas de cohérence d’échelles au sein de la boîte. Je fabrique des objets au lieu d’exécuter des dessins. Ils me servent à faire l’expérience de quelque chose que j’ai vu, ou sont juste de petites sculptures de mémorisation. L’objet même, au départ, questionne déjà l’échelle puisqu’il est fait en trois dimensions. Il y a en outre une volonté dans le travail de ne pas hiérarchiser ces différents processus afin de parvenir à l’œuvre. Je montre tout autant ces petits objets d’intention que l’œuvre achevée. Ces objets ont donc souvent des échelles « tordues », car ils sont faits dans un contexte qui est le mien.

Les deux maisons contiennent des objets aux formes étranges, que l’on retrouve aussi sur une couverture de déménagement placée dans l’espace entre les deux modules (Population sommaire, 2008). De quoi s’agit-il ?
Il y a deux familles : une série est gris métallique, en bois peint satiné, l’autre est en bois plaqué noyer, qui fait explicitement référence à du mobilier. Ces objets proviennent des sous-bassements ou de l’équipement sous-terrain des maisons. Ce sont des choses invisibles. Il s’agit principalement de pièces qui mettent en relation d’autres pièces, ou des tubes dans lesquels circulent les fluides des constructions. Mais on perd complètement la fonction, ce ne sont plus des volumes creux. Les transformer en masses leur ôte toute fonctionnalité. Ils deviennent comme des petits acteurs des espaces que je leur ai donnés.

Quand vous utilisez le qualificatif « sommaire », est-ce en rapport à cette fonctionnalité pas vraiment fonctionnelle, et au fait que sont donnés à voir seulement quelques éléments structurels ?
Oui, cela fait référence à la simplification des maisons, car elles sont suffisamment construites pour être considérées comme de possibles habitations. Elles ne sont pas achevées car il n’y a pas de mur, et ne présentent rien de fonctionnel. [User du terme] « sommaire », c’est donner juste suffisamment d’indices pour qu’elles soient considérées comme des intentions de maisons. Une manière également d’interroger l’aspect maquette de la chose, avec ce côté velouté propre au carton. Cela entretient cette ambiguïté-là. Sommes-nous face à une maquette déjà trop aboutie ou a-t-on à faire à l’œuvre elle-même ?

Vous vous intéressez à la nature indéterminée des choses...
Oui, car la nature indéterminée des choses peut prendre divers aspects, notamment formels mais aussi informels. Ici on a quelque chose d’assez indéterminé, que l’on n’arrive pas forcément à lire de prime abord, mais qui est cependant un travail très défini car les formes sont très claires, les structures simples et très construites.

GUILLAUME LEBLON. MAISONS SOMMAIRES, jusqu’au 6 avril, Domaine de Kerguéhennec, centre d’art contemporain, 56600 Bignan, tél. 02 97 60 44 44, tlj sauf lundi 11h-18h, www.art-kerguehennec.com

Guillaume Leblon est représenté à Paris par la galerie Jocelyn Wolff, www.galeriewolff.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Guillaume Leblon

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