Art contemporain

Un fort culturel

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 713 mots

FRANCHEVILLE - L’ouverture du fort du Bruissin dote la région lyonnaise d’un nouvel outil culturel. Le site représente en lui-même à la fois les atouts et les contraintes du nouveau centre d’art contemporain qui a ouvert ses portes dans l’enceinte du fort du Bruissin, à Francheville (Rhône), à quelques kilomètres au sud-ouest de Lyon. D’un côté, ce vaste fort (édifié entre 1878 et 1881 comme élément d’une vaste ceinture de défense de la ville de Lyon) s’inscrit dans un cadre paysager – 10 hectares de bois classés, 1 kilomètre de fossés – propice à l’évasion, qui ne manquera pas d’inspirer tant les visiteurs que les artistes.

Veit Stratmann'Sans titre' (2008)

Veit Stratmann l’a bien compris qui, invité à intervenir pour l’accrochage inaugural, a fait produire une vingtaine de plateformes métalliques, de 90 centimètres de diamètre, légèrement inscrites au-dessus du sol, sur lesquelles seule une personne peut prendre place (Sans titre (Pour le fort), 2008). Disséminés en extérieur, jamais dans des endroits spectaculaires ou trop en vue, ces dispositifs convient à la découverte de la nature environnante mais aussi du bâti, en offrant des points de vue inédits et parfois surprenants. De l’autre côté, la rigueur de l’architecture militaire se fait très présente à l’intérieur. Ce d’autant plus que l’un des partis pris du cabinet Rue Royale Architectes (Michel Essertier), à Lyon, a consisté à juste titre à conserver l’intégrité du bâti. Le corps de bâtiment principal s’est ainsi vu réaménager en cinq galeries d’expositions juxtaposées les unes aux autres, distribuées par un long couloir. Il faudra pour Sandra Cattini, chef de projet et directrice artistique, affirmer une grande cohérence dans la scénographie de ses expositions afin d’éviter la dilution dans ces espaces segmentés.
Également invités à inaugurer les lieux, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige y font bonne figure avec leurs « Histoires tenues secrètes ». Les artistes libanais y déploient le projet Wonderful Beirut (1998-2007), belle fiction fabriquée avec des éléments du réel. De leur esprit est né le photographe « Abdallah Farah », qui, après avoir photographié les plus beaux sites de la « Riviera libanaise » à la fin des années 1960, notamment afin d’en faire des cartes postales, a fait subir à ses clichés, en les brûlant, les outrages que la guerre a elle-même infligés à ces paysages (Histoire d’un photo-pyromane). Un travail où les strates temporelles s’interpénètrent afin de corriger sévèrement l’image d’une réalité qui n’existe plus, mais que l’on trouve toujours en vente chez les marchands de souvenirs (Cartes postales de guerre). Plus loin, les Images latentes, jamais développées, s’exposent dans la rigueur de leur classement à travers seulement la description méthodique de leur contenu, cliché après cliché, rouleau après rouleau, renforçant l’impact d’une évocation nostalgique. Troublant, leur film Khiam (2000) donne la parole à d’anciens détenus du camp de détention éponyme, dont le seul récit entrouvre la porte à la visualisation de ce qui est invisible, et sans doute « immontrable ».
Le programme mis en place au fort du Bruissin est aussi l’occasion de renforcer les synergies régionales, en accueillant les « Galeries nomades » initiées par l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, lesquelles permettent à de jeunes diplômés des écoles d’art de la région de réaliser une exposition dans une véritable structure culturelle.
Benjamin Hochart est ainsi le premier à occuper la poudrière nord, avec une installation sculpturale où les limites entre volume et espace plan tendent à se brouiller.
Porté par la municipalité de Francheville, qui depuis 1989 a engagé diverses initiatives afin de reconvertir et d’utiliser les lieux à des fins culturelles, le centre d’art est soutenu par toutes les collectivités territoriales régionales – Région Rhône-Alpes, département du Rhône, Grand Lyon – et par l’État. Reste toutefois à garantir les budgets d’expositions et de fonctionnement de la structure, qui apparaissent flous à plus long terme. Un tel lieu n’est viable et utile que s’il est source d’attraction pour les publics. Celle-ci passe notamment par une politique dynamique en termes de programmation, qu’il convient de maintenir soutenue afin de pérenniser le goût de la découverte.

JOANA HADJITHOMAS ET KHALIL JOREIGE, HISTOIRES TENUES SECRÈTES ; BENJAMIN HOCHART, TOURNER (AU CARRÉ) ; VEIT STRATMANN, jusqu’au 27 avril, fort du Bruissin, Centre d’art contemporain de Francheville, chemin du Château-d’eau, 69340 Francheville, tél. 04 72 13 71 00, du vendredi au dimanche 14h-18h.

Fort du Bruissin

- Directrice artistique : Sandra Cattini - Superficie totale : 1 350 m2 - Surface d’exposition : 800 m2 - Coût de la première tranche de travaux : 625 000 euros HT

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Un fort culturel

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