Cinéma

Un temple pour le septième art

Turin choisit une approche ludique

Par Farinato Anna Maria & Lasnier Jean-François · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2000 - 964 mots

Alors qu’à Paris, l’avenir du Musée du cinéma ne s’annonce pas radieux (lire ci-contre), celui de Turin, inauguré cet été, offre au septième art un lieu digne de sa place dans la culture italienne contemporaine. Souvent ludique, le Musée national du cinéma, installé dans la Mole Antonielliana, se visite sans déplaisir ; malheureusement, il renonce à délivrer un discours structuré sur l’histoire du cinéma en tant qu’art.

À l’origine, la Mole Antonelliana était destinée à devenir une synagogue ; l’Université israélite de Turin en avait passé la commande en 1860 à Alessandro Antonelli pour commémorer les libertés civiles et de culte accordées par la Constitution de Charles-Albert (1848). Toutefois, irritée par les coûteuses modifications apportées au projet (comme l’ajout d’une flèche portant la hauteur de l’édifice de 47 à 167 mètres), la communauté juive renonce à l’idée d’en faire son lieu de culte et cède la construction (en 1877) à la municipalité. Cette dernière se retrouve alors en possession d’un “objet architectural” audacieux et singulier, visible de presque toute la ville – dont il allait bientôt devenir le symbole –, mais difficile à utiliser. Après avoir longtemps accueilli des expositions temporaires, la Mole abrite désormais le Musée national du cinéma, dont les collections étaient conservées depuis 1958 au Palazzo Chiablese.

Commencés en mai 1996, les travaux de restauration, qui ont porté sur l’ensemble du monument, se sont achevés en février 1999. Ils ont coûté un peu plus de 19 milliards de lires (sur une enveloppe globale d’environ 22 milliards) pris en charge par la Ville de Turin et en partie par la région. Les architectes Gianfranco Gritella et Antes Bortolotti se sont occupés de l’ensemble du projet de restauration. Conçue par l’architecte et scénographe suisse François Confino, directeur artistique du musée, la muséographie se déploie sur cinq niveaux occupant une superficie de 3 200 mètres carrés.

La Mole retrouve ainsi sa première fonction de “temple”, même s’il s’y célèbre un culte profane, celui du cinéma. Souvenir de sa destination primitive, la vaste zone centrale sous le dôme porte toujours le nom d’Aula Grande del Tempio (Grande Salle du Temple) dont le sol brillant est opportunément parsemé d’étoiles. Et au long du parcours, apparaissent des termes tels “parcours initiatique”, “chapelle”, “culte”, un vocabulaire sacré qui n’étonnera pas les cinéphiles.

Et la lumière fut
Avant la salle obscure, il y eut la camera oscura, une de ces inventions optiques qui constituent les prémices lointaines du cinéma. Cette archéologie de l’image en mouvement, parcours naturellement situé dans les soubassements de la Mole, conte le passage de la photographie au cinématographe, en passant par la stéréographie et la chronophotographie. La connaissance des matériels, rassemblés par la fondatrice du musée Maria Adriana Prolo (“mondi niovi”, boîtes optiques pour la vision, lanternes magiques, dispositifs pour l’animation des images aux noms pratiquement imprononçables : taumatropie ; phénachisticopie, zootropie, praxinoscopie), peut être approfondie grâce à des écrans interactifs placés à côté des vitrines et reliés à la banque de données du musée. À la fin de cette première partie, dans une petite salle de projection, le visiteur est invité à revivre les émotions des spectateurs de la fin du XIXe devant les premières images filmées. Par la grâce d’un ascenseur, il pénètre ensuite dans le XXe siècle ; un nouveau parcours s’engage alors, déclinant les diverses phases de réalisation d’un film : protagonistes (public, producteurs, studios, metteurs en scène, stars), mise en œuvre (scénario, costumes, scénographie, storyboard), technique cinématographique (caméra, lumière, photographie, effets spéciaux et montage). Les extraits de films illustrant ces aspects de la création cinématographique (photographie, son, montage, effets spéciaux...) font la part belle au cinéma hollywoodien des vingt dernières années, réduisant la contribution de pays comme le Japon à la portion congrue. Découpant le film en morceaux, le musée renonce à un discours structuré sur l’histoire du cinéma en tant qu’art, au profit d’un parcours ludique, privilégiant l’entertainment et l’anecdote (le chapeau de Fellini, etc.). Cet éclatement est tout aussi perceptible dans les salles ceignant l’espace central, chacune étant dévolue à un genre (Horreur, Science fiction, Humour, Cinéma expérimental, Animation...), à un thème (Amour et Mort, Vrai et Faux, Voyeurisme, Turin au cinéma...) et même à un film de légende, Cabiria. Les décorateurs ont laissé libre cours à leur fantaisie pour aménager ces niches : on assiste ainsi à la projection d’une scène du Charme discret de la bourgeoisie, assis sur la cuvette des WC. Symptôme du discours égalisateur qui sous-tend la muséographie (tout se vaut), un extrait de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? succède à l’évocation de Buñuel dans cette séquence consacrée à l’humour absurde. Pour le cinéma expérimental, les visiteurs pénètrent dans un laboratoire sens dessus dessous, dans lequel de petits écrans dispersés dans la pièce diffusent des montages. Dans la salle précédente, un salon des années cinquante reconstitué avec un luxe de détails, volontiers ringards, ils étaient invités à comparer des séquences tirées de reportages d’actualité et leur représentation au cinéma ; convoquant aussi bien Gandhi que les Doors, la sélection s’avérait une fois de plus “œcuménique”.

S’il le souhaite, le spectateur peut passer de l’autre côté du miroir, d’abord comme une ombre en se mêlant aux ombres chinoises des panneaux animés, puis dans le petit studio de tournage, monté dans l’arcade consacrée à la technique du cinéma, pour mesurer son propre talent de “star” ou de “starlette”, ou faire de la figuration dans un dessin animé.

Après toutes ses distractions, il est temps de s’installer dans les confortables fauteuils situés sous la coupole afin de regarder quelques projections sur grand écran, dont l’une prend pour thème l’histoire de l’Italie au cinéma. Au départ de l’Aula Grande, une rampe jalonnée des plus belles affiches de la collection (qui en compte 150 000) mène à une salle évoquant l’art vidéo. Le futur du cinéma ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : Un temple pour le septième art

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