La septième Biennale de La Havane fait un tabac

Cent soixante-dix artistes sont réunis à Cuba

Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2000 - 767 mots

Depuis seize ans, Cuba accueille l’une des biennales d’art contemporain les plus indépendantes et les plus insolites, la première jamais organisée dans un pays communiste. Cette année, six conservateurs du Centre d’art contemporain Wilfredo-Lam, parmi lesquels Nelson Herrera Ysla, ont sélectionné, dans quarante pays différents, 170 artistes venus essentiellement d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique et des Caraïbes.

LA HAVANE - “L’explosion de l’industrie des médias a provoqué un raz-de-marée. Depuis, les gens passent leur temps devant leur ordinateur. Plus personne ne veut parler”, estime Nelson Herrera Ysla, l’un des commissaires de la Biennale de La Havane. Aussi, le titre de l’édition 2000 de la manifestation, “Closer to one another” (plus proches les uns des autres), entend se faire le reflet de ce rapprochement virtuel des gens. Cet intitulé est aussi à connotation nettement moins socio-politique que les précédents : “The challenge of colonialisation” (le défi de la colonisation) ou “Art, society, reflection” (art, société, réflexion). Nelson Herrera Ysla s’explique : “j’ai certainement les mêmes problèmes que vous, bien que vous viviez dans une autre ville. D’une certaine manière, nous parlons tous le même langage, même si un artiste américain peut s’acheter des toiles ou un équipement vidéo plus chers que ne le pourrait un artiste arabe ou africain”.

Des conditions financières restrictives
Même si quelques artistes invités viennent effectivement des États-Unis et d’Europe – dont les Français Alain Fleischer, Annette Messager et Jean-Pierre Raynaud –, l’attention de la Biennale de La Havanne reste concentrée sur l’Asie, l’Afrique et le “Sud”. Comme le souligne Nelson Herrera Ysla, “avec notre budget limité, nous ne pouvons pas aller partout”. En effet, malgré le soutien du ministère de la Culture, de plusieurs associations artistiques cubaines ou de la fondation Ludwig, le budget total ne s’élève qu’à 150 000 dollars (1,17 million de francs), somme ridiculement peu importante pour une manifestation de ce type. Aussi, conformément à l’un des critères de participation, les artistes (ou la galerie ou l’institution qui les représentent) doivent pouvoir prendre en charge le transport, l’assurance et l’accrochage de leurs œuvres à La Havane. Cette exigence dessert manifestement les créateurs qui réalisent des sculptures monumentales ou des installations dont la mise en place est coûteuse. “Nous recherchons des artistes qui peuvent transporter leurs œuvres dans leur bagage à main”, confirme Nelson Herrera Ysla. Cette contrainte réserve également des surprises puisque l’équipe des commissaires de l’exposition ne sait jamais exactement quelles œuvres les artistes choisiront de présenter !

Les organismes municipaux de La Havane ont mis à la disposition de la biennale des espaces d’exposition représentant une superficie considérable. Depuis les hangars sur les docks, jusqu’aux salles du ministère de la Justice, en passant par le Musée du Rhum (où une partie présente des œuvres de l’exposition exceptionnelle consacrée à Jean-Michel Basquiat), les galeries commerciales et l’entrée du Théâtre national, chaque centimètre carré disponible de La Havane est utilisé. Mais la biennale doit se passer du Musée national de Cuba, fermé depuis cinq ans. La collaboration entre l’État et les organisateurs n’a pu empêcher l’émergence d’expositions parallèles qui ont lieu dans des restaurants, chambres d’hôtels et espaces loués, soit en dehors de la responsabilité du comité d’organisation de la biennale. Quelques jours avant l’inauguration de l’édition de 1997, un arrêté avait même interdit l’organisation d’expositions “pirates”, à l’exception de celles présentées dans les résidences privées des artistes. Lors de la dernière biennale, certains événements ont fait couler beaucoup d’encre même s’ils n’ont finalement pas été interdits. Il en est ainsi de la performance clairement politique de Tania Bruguera, The Burden of guilt (le poids de la culpabilité), durant laquelle elle a ingurgité solennellement une mixture d’eau et de boue devant un drapeau cubain fabriqué à partir de cheveux humains, tout en portant autour du cou une carcasse d’agneau découpée par un boucher.

Si de nombreux artistes cubains sont à présent exilés aux États-Unis, la biennale ne présente plus uniquement des artistes vivant à l’étranger. “Il n’y a plus cette notion de tiers-monde, de pays industrialisés ou en voie de développement, mais simplement de pays riches et de pays pauvres, estime Nelson Herrera Ysla. Nous ne pouvons plus accepter que l’art issu de pays sous-développés soit discriminé. De la même manière, le débat qui oppose les cultures primitives aux cultures industrialisées n’a plus lieu d’être.”

Cette édition devrait être l’une des plus visitées, puisque plus de mille demandes de visas sont déjà arrivées du Japon, d’Europe et des États-Unis. L’intelligentsia cubaine, privée de manifestations culturelles de cette importance, devrait également être présente.

- 7e BIENNALE DE LA HAVANE, jusqu’à la fin décembre, différents lieux, La Havane, Cuba, tél. 537 612 096, www.cult.cu/eng/plastica/bienal/

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : La septième Biennale de La Havane fait un tabac

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