Yoko Ono - Histoires de « Fesses » et autres...

Comment Yoko Ono s’est rebellée contre la \"stagnation élitiste de l’avant-garde\"

Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2000 - 940 mots

John Lennon disait de son épouse, Yoko Ono, qu’elle était l’artiste inconnue la plus célèbre au monde. Il est vrai que peu de gens connaissent Yoko Ono – l’artiste – qui a pourtant été au cœur de l’avant-garde new-yorkaise des années soixante. Sa musique, sa sculpture, sa photographie et ses films ont préfiguré l’œuvre de nombreux artistes des années quatre-vingt. Une rétrospective de son travail, organisée par la Japan Society de New York, rend hommage à sa longue carrière, à travers plus de cent cinquante œuvres des années soixante à nos jours. Yoko Ono s’explique.

Votre œuvre a-t-elle été régulièrement exposée dans les musées ?
Non. Les musées et moi n’avons eu aucun rapport jusqu’à la fin des années quatre-vingt, même si, au début des années soixante-dix, le Musée Everson de Syracuse, dans l’État de New York, m’a consacré une monographie. Récemment, une exposition de mes œuvres a été montée par le Musée d’art moderne d’Oxford et a fait un tour d’Europe.

Êtes-vous avant tout musicienne ?
Non. Je me décrirais avant tout comme une artiste avec un grand A. Lorsqu’une idée me vient, je choisis le support ou plutôt, c’est l’idée elle-même qui choisit son moyen d’expression. J’imagine que cela peut-être vu comme du dilettantisme ou de l’amateurisme. En même temps, dans les années soixante-dix, j’étais fière d’être appelée dilettante. Mon opinion n’a pas changé. Je n’ai jamais vécu de mon travail d’artiste. Bien sûr, je ne suis pas obligée de le faire aujourd’hui, mais avant, lorsque ma situation économique était assez précaire, je préférais travailler à mi-temps pour la Japan Society que d’essayer de vivre de mon œuvre.

Composiez-vous délibérément des œuvres situées en dehors du marché dominant à l’époque ?
Je ne faisais pas intentionnellement des objets qui n’allaient pas me rapporter de l’argent. Vers 1965, le propriétaire d’une galerie a dit à mon mari de l’époque : “Si Yoko réalisait un objet avec une rayure ou une fissure dedans, il deviendrait alors unique et je pourrais le vendre. Mais elle est tellement conceptuelle ! Elle travaille toujours avec quelque chose qui peut être reproduit.”

Quels artistes admiriez-vous : Duchamp, Joseph Cornell, Man Ray ?
Je les aime tous. Certains réalisaient quelque chose de graphique et de visuel et pourtant d’extrêmement révolutionnaire, comme Barnett Newman. J’adorais l’œuvre de Rauschenberg, de Jasper Johns. Je ne les considérais pas comme des collègues, mais nous étions sur la même longueur d’onde. Je pense que tous deux sont venus dans mon loft.

Comment avez-vous commencé à faire des films ?
Un jour, George Maciunas, le père de Fluxus, m’a appelée pour me dire qu’il avait à disposition pour une journée une caméra dotée d’un ralentisseur. Il m’a dit : “Vite, pense à des idées et viens me voir.” Je l’ai rencontré et nous avons réalisé quelques films. C’est à cette époque que j’ai eu l’idée du film sur les “Fesses”. J’en ai parlé à George Maciunas qui m’a répondu “OK”. Il a tout installé dans mon appartement et les gens sont venus, ont retiré leurs pantalons et nous les avons filmés. Nous avons réalisé un beau court-métrage Fluxus.

Aujourd’hui, les artistes doivent attendre d’obtenir une subvention du gouvernement pour pouvoir se financer.
Je n’attendais aucune subvention car elle ne serait jamais arrivée. Cette contrainte financière a engendré des situations incroyablement intéressantes en matière d’œuvre. Dans les années soixante, je crois que Jonas Mekas a dit une fois que si le public quitte la salle de projection, vous devez considérer que c’est votre film à plus grand succès. Tels étaient les comportements rebelles que l’on adoptait à l’époque.

Quelle a été l’importance d’Andy Warhol sur votre travail ?
Il était très drôle. Si on pense aux boîtes de soupe Campbell, elles n’avaient rien d’unique. Warhol a joué avec l’esprit des gens plutôt qu’avec l’effet visuel de l’œuvre. Cela me plaît bien. Telle est la valeur de son œuvre. Sous cet angle, c’est un artiste conceptuel.

Après votre rencontre avec John Lennon et votre participation au Mouvement pour la Paix, avez-vous vécu une rupture d’avec ce que vous faisiez ?
Je vais toujours de l’avant et je trouvais génial qu’en découvrant le rock’n’roll, je rencontrais une multitude de gens nouveaux, si on peut dire, des gens du spectacle. Du haut de ma tour d’ivoire, je ne considérais pas ce que l’on faisait comme du spectacle. Lorsque John a percé et qu’il est devenu extrêmement célèbre, il a commencé à sentir l’ampleur de l’effet de ses mots sur les gens. Il sentait qu’il se devait de donner plus que du divertissement. C’est ce qu’il a fait. C’est alors que je suis entrée dans le jeu. Je réalisais des choses comme le film “Fesses” et des amis disaient : “Oh, elle est sans principes.” Ils ne m’invitaient plus à leurs dîners et je me rebellais en quelque sorte contre l’avant-garde. Il y avait selon moi dans l’avant-garde comme une stagnation élitiste.

Que faites-vous en ce moment ?
Ma dernière œuvre, montrée à Berlin, s’appelle Freight Train. Il s’agit d’un train de marchandises allemand traditionnel des années quarante qui se trouve sur les rails de la Schlossplatz. J’ai demandé aux militaires de Berlin de mitrailler le train, de façon à y laisser des trous. Une lumière forte filtre du train, comme un projecteur. La nuit, lorsque vous allez là-bas, vous voyez sortir la lumière de milliers de trous. En raison de cette lumière, beaucoup de gens se rassemblent autour de l’objet la nuit. Je suis heureuse d’inspirer les spectateurs, surtout en cette période de débat sur les néo-nazis en Allemagne.

- YES YOKO ONO, jusqu’au 14 janvier, Japan Society, 333 East 47th Street, New York, tél. 1 212 832 1155, tlj sauf lundi, 11h-18h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : Yoko Ono - Histoires de « Fesses » et autres...

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