L’actualité vue par Philippe-Alain Michaud

Responsable de la programmation cinéma de l’auditorium du Louvre

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2000 - 1190 mots

Historien de l’art, Philippe-Alain Michaud est responsable de la programmation cinéma de l’auditorium du Louvre depuis 1992. Il y présente jusqu’au 19 novembre, « La persistance des mythes », un cycle sur la mémoire de l’Antiquité au cinéma. Auteur d’Aby Warburg et l’image en mouvement (1998), il dirige la collection « Littérature artistique » chez Macula. Il prépare actuellement, avec le cabinet des arts graphiques du Musée du Louvre, une exposition intitulée « Travail du rêve et travail du dessin » (printemps 2003).

Vos impressions sur le Mois de la Photo.
Je suis frappé par l’irruption de problématiques cinématographiques dans le champ de la photographie. Des cinéastes exposent (Jonas Mekas à la Fiac et dans “Voilà”, où se trouve aussi une installation de Chantal Akerman), des expositions sont réalisées à partir de films (deux films de Godard, Deux ou trois choses que je sais d’elle et Alphaville “respatialisés” au Centre culturel suisse), et d’autres, bien que cantonnées à la photographie, sont imprégnées par une pensée du cinéma : Bernard Plossu, chez Michèle Chomette, expose, sous le titre de “Cinéma fixe” des images qui se présentent comme des condensations de films ou encore Victor Burgin, chez Durand-Dessert, présente des dispositifs composés de trois images dont l’une est un simple cadre noir, portant parfois une inscription, comme un carton de film muet. Avec deux images, on reste dans l’ordre de la juxtaposition ; dès qu’il y a trois images, on rencontre des phénomènes de cinéma.

“Hitchcock et l’art” à Montréal, ou, plus proche de nous “Créatures et machines malades”, la manifestation que consacre le Centre culturel canadien à David Cronenberg, l’heure semble être à l’exposition du cinéma.
Il faut peut-être faire une distinction entre “Hitchcock et l’art”, une exposition présentée dans un Musée des beaux-arts qui s’inscrit à la croisée de l’histoire de l’art et de celle du cinéma et l’exposition Cronenberg qui est un simple dépliage de films (affiches, accessoires, photos de plateau...) à visée quasiment promotionnelle. J’ajoute que le commissaire de l’exposition Hitchcock est Dominique Païni, le directeur de la Cinémathèque française, qui par ailleurs a rédigé le texte du catalogue de l’exposition de Bernard Plossu...
La définition du cinéma est en train de se modifier en profondeur : il n’y a plus de primat de la projection en salles, et aujourd’hui la cinéphilie passe largement par les chaînes câblées et par la vidéo – peut-être aussi par la culture musicale, comme le montre le programme présenté à Beaubourg par Jean-Michel Bouhours et Yann Beauvais, Monter/Sampler. On assiste en ce moment à une grande migration du cinéma vers la sphère des arts plastiques : ce n’est plus seulement le médium ou le dispositif, mais l’histoire du cinéma en tant que telle qui constitue un nouveau matériau pour les artistes. L’histoire de l’art doit permettre de regarder les films en les désenclavant de l’histoire du cinéma, à l’inverse, les films doivent permettre de regarder autrement l’histoire de l’art, à condition de repenser les rapports entre cinéma de fiction et cinéma expérimental ou scientifique, de s’intéresser à des formes et à des phénomènes d’hybridation qui ne sont pas commerciaux a priori.

À propos de commerce cinématographique, le CNC vient d’infliger une amende de 1,5 million de francs à UGC, à la suite du lancement de sa carte “illimitée”.
L’idée de la carte est symptomatique et répond sans doute à un véritable désir : on ne va plus au cinéma, mais “aux cinémas”. Les gens se baladent de salles en salles, regardent un film pendant cinq minutes, et passent à autre chose. Ils défilent devant les films, un peu comme à la Fiac. Le problème, c’est qu’on ne peut faire ça qu’entre une dizaine de salles : un complexe, c’est trop petit, il faudrait deux cents salles ! La carte engendre un comportement collectif où la question du déplacement devient essentielle. La conjonction de l’espace théâtral et du dispositif cinématographique aura duré un siècle, et elle n’était d’ailleurs pas fixée à l’origine (les films étaient projetés dans les cafés, les foires, ou les galeries de kinétoscopes). Là où le CNC peut légitimement s’inquiéter, c’est que cette facilité constitue une véritable menace pour le statut de l’auteur et l’intégrité de l’œuvre. En ce sens, ce petit événement constitue une nouvelle mort du cinéma (toute son histoire est d’ailleurs un enchaînement de morts...)

Qui dit mort, dit conservation. Le projet de la “Maison du cinéma” est abandonné, mais le Musée du cinéma Henri-Langlois et la Cinémathèque française doivent toujours s’installer à Bercy. Dans ce contexte, leurs missions vous semblent-elles changées ?
Le nom même de “Maison du cinéma” me semblait un contresens. La Cinémathèque est le Musée du cinéma, elle conserve les copies comme un musée conserve des tableaux. En ce qui concerne l’espace muséographique à proprement parler, il est toujours intéressant d’y montrer des reliques, des costumes, mais le véritable enjeu reste la conservation et la transmission des images qui doivent et peuvent être montrées dans un état que la simple projection ne peut pas restituer. Le Musée Henri-Langlois est l’œuvre de Langlois, il doit être visité et conservé comme tel. Si on le démantèle, ce n’est pas la peine de le remplacer par un substitut, il faudra envisager un musée qui parte de l’état actuel de l’histoire du cinéma. Le travail d’un artiste comme Douglas Gordon pourrait fournir d’excellentes pistes de recherche : pendant trois mois, on va voir Psycho étiré sur 24 heures, ensuite on verrait un autre film dans les mêmes conditions. Par ailleurs, si le Musée du cinéma doit continuer à assurer le travail fondamental de présentation de l’histoire du cinéma, la projection classique des films prendra de plus en plus un caractère unique, se déroulant dans des conditions qui s’apparentent à celle du spectacle vivant. Le Musée du cinéma devra faire face à une double exigence : d’un côté, le fétichisme de la copie, de la projection, et de l’autre une dématérialisation du film qu’il va falloir accompagner. Certaines images non narratives appellent une attention floue et des points de vue démultipliés, incompatibles avec l’espace théâtral de la salle classique : il faut accepter de modifier les conditions de projection, de multiplier les écrans, et d’associer par exemple la culture des archives cinématographiques à la culture musicale la plus récente. Dans des conditions de projection conventionnelles, au bout de dix minutes, les films Lumière deviennent irregardables. Pourquoi ne pas les projeter dans leur intégralité, en quatre heures, sur plusieurs écrans, dans un espace où les spectateurs peuvent circuler en associant la projection à un événement musical ?

Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud ont dévoilé leur intention de créer une télé conçue par des artistes. Ce projet vous enthousiasme ?
Tout ce qui va dans le sens de la multiplication des chaînes et de la critique des grands monopoles est a priori excitant. Et puis c’est un superbe jouet pour les artistes, tant qu’il s’agit d’un instrument subversif et ludique. Mais une chaîne, c’est ce qui sert à enchaîner...

Que pensez-vous de la station de métro Palais-Royal que vient de “signer” Jean-Michel Othoniel ?
D’abord, j’ai cru qu’il s’agissait d’une décoration pour Noël. Mais apparemment, on en a pris pour deux ou trois cents ans.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Philippe-Alain Michaud

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