La Chine ne renonce pas à la table rase

Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2000 - 704 mots

Si le patrimoine architectural chinois est largement mis en valeur et exploité sur les sites touristiques, les biens historiques en mains privées sont souvent victimes d’opérations immobilières menées avec l’aval des autorités. À Wuxi et Pékin, deux affaires révèlent le caractère alarmant de cette situation.

PEKIN (de notre correspondante) - Perché sur un îlot de terre, au centre d’un fossé creusé pour la réalisation d’un parking, le propriétaire d’une maison du centre de Wuxi, à proximité de Shanghai dans la province du Jiangsu, refuse d’abandonner sa demeure, construite sous la dynastie Ming (1368-1644). Intact, le bâtiment comprend un jardin fermé avec une source d’eau chaude naturelle ; il est officiellement classé comme patrimoine culturel protégé. La mesure a peu joué en sa faveur : les autorités locales ont approuvé le transfert du bâtiment sur un emplacement non spécifié, invoquant une exception à la loi de protection des vestiges culturels qui dispose que “dans des cas de nécessité extrême” le déplacement d’un bâtiment peut être autorisé. Pour le propriétaire, le jardin et sa source ne peuvent être déménagés. Pourtant, les autorités se sont prononcées en faveur des projets de construction du voisin, d’autant qu’il s’agit du bureau local de sécurité publique. Alerté, et choqué à l’idée que la construction du parking puisse constituer un “cas de nécessité extrême”, le bureau national des Reliques culturelles basé à Pékin a usé d’une nouvelle loi destinée à revenir sur des réglementations administratives injustes ou incorrectes. Les autorités régionales et locales ont vu leur décision annulée, à charge pour elles de prendre de nouvelles mesures. Mais le temps n’est pas du côté du propriétaire.

Au-delà de la situation toujours embarrassante de ce dernier, la révocation d’une décision administrative concernant la conservation de reliques culturelles constitue une première. Elle pourrait se révéler être une base légale importante pour la résolution de litiges analogues. Pareils cas ne sont en effet pas isolés, tant le peu de maisons basses Ming et Qing (1644-1912) encore en état en Chine succombent désormais à des réglementations municipales agressives. Portées par un développement économique rapide, les communes chinoises imposent actuellement la construction de sites commerciaux et lieux de vente en tout genre. En mains privées dans leur majorité, les témoignages architecturaux en danger ne relèvent ni du bureau d’État des Vestiges culturels, ni du bureau d’État du Tourisme. Or, depuis 1995, la politique de “conservation culturelle” de la Chine a officiellement opté pour le tourisme comme source principale de financement pour la conservation et la protection.

Une orientation patrimoniale qui s’appuie plus sur les dollars des touristes que sur les subventions du gouvernement, et qui laisse peu de chances aux maisons historiques situées à l’extérieur des sites protégés. Le manque d’attrait touristique ainsi que les faibles coûts nécessités par le transfert des familles rendent ces maisons historiques particulièrement vulnérables.

Protection difficile
Récemment, plusieurs plaintes ont été menées contre l’avis de comités “d’experts” qui avaient jugé des bâtiments historiques d’une importance insuffisante pour survivre au pouvoir des opérateurs immobiliers. Sous la forte pression des promoteurs, les départements de reliques culturelles locaux et les autorités régionales remettent en effet souvent en cause les décisions favorables à la protection des bâtiments. Pour le faire, les autorités font appel à un conseil “d’experts” qui leur est acquis. En général, tous sont d’accord sur la démolition, et à l’unanimité.

À Pékin, la démolition d’une demeure Qing, à la suite d’un jugement émis par la cour en est le parfait exemple. Menacé par un projet de centre commercial, le propriétaire de la demeure, située derrière le Musée national, avait fait une demande de classement officiel. Un jury d’experts, nommés par des autorités locales, a recommandé de ne pas inclure ce bâtiment sur la liste des sites officiellement protégés. Portée en appel, la décision a été confirmée en septembre. Le plaignant s’est vu donner cinq jours pour déménager. La décision a été largement critiquée par des juristes et experts : l’avis final était fondé sur le rapport original d’évaluation du comité d’experts nommés par la défense. Aujourd’hui, la presse locale se fait l’écho des voisins qui déplorent la démolition imminente. Quant au propriétaire, il s’interroge sur le silence des membres du jury, qui ont pourtant reconnu la haute valeur culturelle et historique du bâtiment.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : La Chine ne renonce pas à la table rase

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