L’art et son marché

L’aventure de la maison Goupil

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2000 - 484 mots

Art et commerce ont-ils toujours fait bon ménage ? En marge des expositions classiques, le Musée Goupil de Bordeaux évoque la naissance d’un réseau international de marchands et d’éditeurs d’art, au milieu du XIXe siècle, et ses conséquences sur le monde de la création.

BORDEAUX - L’exposition s’appuie sur la confrontation d’une vingtaine de tableaux de Jean-Léon Gérôme (1824-1904) avec plus d’une centaine de reproductions de ses œuvres, réalisées en estampes ou photographies par la maison Goupil, à partir de 1859. Éditeur d’art et galeriste, Adolphe Goupil développe son entreprise en acquérant des droits de reproduction sur les œuvres qu’il expose et commercialise. Installée depuis 1848 aux États-Unis, avec des comptoirs de vente de Berlin, à Sydney, Florence et Varsovie, la société ouvre les portes du monde à des artistes, comme Paul Delaroche (1797-1856). À partir de 1859, la maison Goupil s’attache la production de Gérôme, figure de proue de l’académisme et bientôt gendre du marchand. Près de 370 reproductions différentes sont exécutées d’après 122 tableaux du peintre. Les scènes antiques et néo-grecques, les sujets historiques et les compositions orientalistes de Gérôme sont alors très appréciés par les collectionneurs américains fortunés, comme Vanderbilt et Stewart. Les reproductions diffusées par la maison utilisent les techniques les plus modernes : la lithographie, la gravure, la photographie à partir de 1853, la photogravure en 1873 et enfin la statuaire. L’édition sculptée de Phryné, issue du tableau, Phryné devant le tribunal, connaît un véritable succès. Avec la multiplication des copies, fidèles au modèle original ou bien modifiées, l’œuvre d’art devient un objet de spéculations, tout en posant le problème de son unicité. Offrant à l’artiste la possibilité de revenir sur son œuvre – Gérôme change la position des bras de la figure féminine de la seconde version gravée du Roi Candaule – le nombre de versions justifie aussi une différence de prix : “Copie sera faite comme vous le demandez, plus petite que l’original, et probablement, j’y ajouterai ou j’y retrancherai quelque chose afin qu’il soit bien constaté que vous avez l’original”, écrit l’artiste à Goupil en 1863 à propos de la seconde édition du Prisonnier. Gérôme a parfaitement conscience de l’intérêt de la photographie pour la diffusion, la popularité et la pérennité de ses œuvres. Phénomène à double tranchant, le choix des tableaux est effectué par rapport au goût de la clientèle professionnelle, mais aussi en fonction de l’enjeu commercial des reproductions destinées à un plus large public. Qui alors conditionne quoi, l’œuvre ou sa copie, l’artiste ou le marché ? En tout cas, l’art entre ainsi dans l’ère industrielle, l’artiste et son œuvre se vulgarisent et se rendent accessibles à un plus grand nombre.

- GÉRÔME & GOUPIL, ART ET ENTREPRISE, Musée Goupil, Bordeaux, jusqu’au 14 janvier, tél. 05 56 01 69 40, tlj sauf lundi, 11h-18h, samedi et dimanche, 14h-18h, du 6 février au 5 mai, Dahesh Museum of Art, New York, Catalogue, 240 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°117 du 15 décembre 2000, avec le titre suivant : L’art et son marché

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