Restitutions

Retour d’un vitrail

Du concret dans les négociations germano-russes

Par John Varoli · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2000 - 776 mots

FRANCFORT / ALLEMAGNE

Davantage de biens culturels, saisis par l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale, pourraient être rendus à l’Allemagne. Les responsables politiques espèrent signer, avant la fin de l’année, un accord qui assurerait la restitution d’un vitrail exceptionnel du XIVe siècle, enlevé à la cathédrale Marienkirche de Francfort-sur-l’Oder en 1945 et actuellement conservé au Musée d’État de l’Ermitage.

SAINT-PETERSBOURG (de notre correspondant) - “En contrepartie [du vitrail du XIVe siècle de la cathédrale de Francfort-sur-l’Oder], l’Allemagne reconstruira une église du XIVe siècle située dans la région de Pskov, complètement détruite pendant la guerre”, a déclaré Anatoli Vilkov, directeur du département pour la conservation des biens culturels au ministère de la Culture. “Il n’est pas question ici d’une restitution à grande échelle, mais du retour de quelques objets en particulier.” Le vitrail du XIVe siècle, de grande valeur, illustre un thème rarement représenté avec autant de détails : l’Antéchrist à son arrivée sur Terre et la vie des hommes pendant l’Apocalypse. Les 114 panneaux de verre, mesurant chacun 80 cm de haut et 50 cm de large environ, sont dans un état de conservation relativement bon, selon Mikhaïl Piotrovsky, directeur de l’Ermitage. Mais le réseau de plomb est cassant et nécessite une campagne de restauration que des experts allemands et russes commenceront à l’Ermitage dès l’année prochaine.

“Les Allemands voudraient que nous leur rendions le vitrail au plus vite [pour la célébration du 750e anniversaire de la cathédrale en 2003], mais nous voulons d’abord le restaurer puis l’exposer en Russie pour que nos concitoyens puissent le voir. Alors seulement, en accord avec la loi en vigueur en Russie et conformément à la décision de notre gouvernement, nous le rendrons, a déclaré Mikhaïl Piotrovsky. Nous sommes tenus d’agir de la sorte afin d’éviter toute réclamation de la part des nationalistes de Russie.”

Déplacés par les Allemands en 1941 pour les protéger des bombardements, les panneaux ont ensuite été découverts par les troupes soviétiques dans un musée de Dresde puis peu après la fin de la guerre, confisqués et conservés secrètement à l’Ermitage. Mikhaïl Piotrovsky a révélé publiquement leur existence en 1993.

Cette convention fait suite à un arrangement conclu au printemps. L’Allemagne a restitué deux pièces à la Russie – une mosaïque florentine et un bureau du XVIIIe siècle – volées par les troupes nazies en 1941 dans la chambre d’Ambre du palais Yekaterinsky de Saint-Pétersbourg. En retour, une collection de dessins, dérobée dans un musée de Brême par un soldat russe pendant la guerre, a été rendue à l’Allemagne.

Les accords depuis l’après-guerre
Dans les années cinquante, la Russie avait rendu, sans contrepartie, quelque 2 millions d’œuvres à l’Allemagne de l’Est et à la Pologne, au nombre desquelles figurent les pièces du Pergamon Museum et la collection du Musée de Dresde. Mikhaïl Gorbatchev avait promis en 1990 de rendre à l’Allemagne la plupart de ses biens culturels – promesse réitérée par le président Boris Eltsine. Mais la Douma, contrôlée depuis longtemps par les députés communistes et nationalistes, n’avait jamais donné suite.

Cette nouvelle série de négociations est possible grâce à une loi russe sur les biens culturels, amendée au printemps par le Parlement. La législation établit désormais une distinction entre, d’une part, les œuvres d’art réclamées par les victimes du régime nazi ou les alliés de la Russie pendant la guerre, dont les biens ont été volés par les nazis puis emportés en Union soviétique après la guerre, et d’autre part, les œuvres qui ont appartenu à l’État allemand ou à des citoyens allemands. Si la loi stipule que toutes les œuvres d’art sur le territoire russe, volées en Allemagne pendant la guerre, sont propriété de l’État russe, elle autorise, en revanche, la restitution d’œuvres d’art confisquées aux victimes du régime nazi, ainsi qu’à des institutions religieuses ou à des organisations caritatives.

L’Allemagne avance que la loi russe n’est pas en accord avec les pratiques du droit international, mais souhaite néanmoins parvenir à des arrangements avec la Russie. Ainsi des directeurs de musées allemands ont-ils eu accès à une collection occidentale d’art asiatique, pillée dans un musée de Berlin en 1945 et aujourd’hui conservée à l’Ermitage. “Les œuvres sont dans un parfait état de conservation et présentent toujours les marques des tampons des musées allemands, a affirmé Michael Naumann, ministre de la Culture qui avait mené les négociations avant de démissionner (le JdA n° 116). Nous connaissions l’existence de ces œuvres, mais personne ne pouvait les voir. Le nouveau ministre russe de la Culture autorise à présent l’accès à ces trésors. Les historiens, les archéologues et les conservateurs allemands vont pouvoir étudier ces objets. Avant lui, cela aurait été impossible. On peut dire que les progrès sont considérables.”

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°117 du 15 décembre 2000, avec le titre suivant : Retour d’un vitrail

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