Au pied de la lettre

Les vitraux de Jan Dibbets à Blois

Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2001 - 683 mots

Familier du motif de la fenêtre, Jan Dibbets s’est tourné vers le vitrail, à l’occasion d’une commande pour la cathédrale de Blois. Une entreprise d’une rare ampleur puisque l’artiste hollandais a imaginé le dessin des trente-trois baies de la nef, choisissant un parti de dépouillement et de sobriété, dans lequel le texte et le symbole se substituent à la figure.

BLOIS - Dans un premier temps, Jan Dibbets avait décliné l’invitation à créer des vitraux pour la cathédrale de Blois, avant de se raviser, séduit par la lumière baignant l’édifice. “S’il s’était agi de Notre-Dame, alors j’y aurais regardé à deux fois !”, avoue-t-il dans un ouvrage à paraître aux éditions du Regard (Les Vitraux de la cathédrale Saint-Louis de Blois, avec un texte de Rudi Fuchs). “Si vous voulez réaliser des vitraux pour un édifice aussi imposant, il faut ‘avoir ses lettres de noblesse’ et vous ne pouvez pas vous permettre de faire des expériences. Pour moi, la banalité de l’architecture de l’église de Blois était un avantage. Ce manque de respect – ou plus exactement : l’absence du risque d’être écrasé par votre respect de l’édifice – accroît la liberté de l’artiste. Moins l’édifice est imposant, plus on est libre dans ses rapports avec cette sorte d’art auxiliaire : après tout, le vitrail est un habillage de l’architecture.” Alors que, dans la cathédrale de Nevers, plusieurs artistes s’étaient partagé le travail, Jan Dibbets a pu concevoir de façon unitaire les trente-trois baies de la nef, dont l’inauguration le 22 décembre a conclu un chantier commencé il y a plus de cinq ans. Avant la mise en place des verrières a en effet été accomplie une campagne de restauration, portant sur les fenêtres bien sûr, mais aussi sur la tour-clocher et les grandes orgues. L’installation de vitraux contemporains vient ajouter une nouvelle strate temporelle à un lieu, à l’histoire paradoxale. Malgré son style gothique, l’édifice blésois a en fait été élevé au début du XVIIIe siècle après que l’église Renaissance se fut effondrée. En revanche, la tour-clocher médiévale, habillée Renaissance, a subsisté. Depuis une vingtaine d’années, le ministère de la Culture a mené une politique active de commande de vitraux, en sollicitant des plasticiens a priori étrangers à ce domaine et le plus souvent éloignés de la question du sacré. Avec plus ou moins de bonheur, puisque nombre d’artistes ne semblent pas avoir compris la spécificité du médium, ignorant ces notions fondamentales que sont la transparence et la lumière. Si le dépouillement de ses verrières contraste avec la richesse colorée et ornementale de celles du XIXe siècle, Dibbets, avec l’aide de Jean Mauret, maître-verrier et lui-même artiste, a produit d’authentiques vitraux, et non une banale peinture sur verre.

Une trame systématique
Pour structurer chaque baie, il fait d’abord le choix d’une trame en losanges, qui conditionne (trop ?) le développement des motifs. Pour lui, “la systématisation est devenue une libération”. Issu d’une culture calviniste, Dibbets a banni la figure, privilégiant au contraire le texte (en latin, grec, hébreu et araméen) pour les fenêtres basses et le symbole (vigne, ancre, agneau...) sur les baies hautes. Ceux-ci occupent une place modeste sur la surface du vitrail, car “finalement, rien n’est plus beau que la couleur neutre du vitrail avec une seule couleur en plus”. Toutefois, l’étalement de la réalisation a permis à l’artiste de modifier ses projets, introduisant plus de couleurs et des lettres plus fortes.

Pour concevoir le programme iconographique, Dibbets, prenant sa tâche au sérieux, s’est replongé dans la littérature sacrée, donnant aux textes essentiels de la liturgie une place centrale. Le parcours ménagé au premier niveau mène ainsi de In principio erat Verbum à Marana tha (“Seigneur viens”, l’injonction lancée dans l’Apocalypse), chaque collatéral se terminant par l’évocation du sacrement de l’Eucharistie : Hoc est enim corpus meum, d’un côté, Hic est enim calix sanguinis meis, de l’autre. À l’instar de cette correspondance, l’artiste, dans la conception d’ensemble, a pris soin de ménager des échos entre les différentes verrières, entre le nord (saint Paul) et le sud (saint Pierre), entre le bas et le haut. Une nouvelle circulation du regard s’ouvre alors.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Au pied de la lettre

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