Passions privées

Les Italiens du Musée Jacquemart-André

Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2001 - 566 mots

À l’époque où elle mit en place son « musée italien » au sein de son hôtel particulier, Nélie Jacquemart n’avait accroché que la moitié des œuvres de sa collection. Si une partie était présentée à Chaalis, nombre d’œuvres attendaient en réserve restauration et attribution. C’est désormais chose faite, comme le montre une exposition riche en découvertes, au Musée Jacquemart-André.

PARIS - Le titre ne doit pas abuser le curieux, les tableaux présentés en ce moment dans le musée du boulevard Haussmann dépassent le cadre chronologique sous-entendu par le terme de “primitifs” ; de Salviati à Palma le Jeune, la peinture du XVIe siècle constitue une part non négligeable des œuvres sorties des réserves et restaurées en vue de leur exposition. À ces tableaux ont judicieusement été mêlées des œuvres habituellement présentées à Chaalis ou dans les salles du musée.

Parallèlement à la campagne de restauration, Nicolas Sainte Fare Garnot, le conservateur du Musée Jacquemart-André, a élaboré un catalogue sommaire de la collection de peintures italiennes, un projet que Nélie Jacquemart avait abandonné en raison d’un désaccord avec les conservateurs du Louvre : elle n’était pas prête à reconnaître la présence d’œuvres non authentiques dans sa collection et les scientifiques ne pouvaient le nier.

En attendant un catalogue raisonné, on possède désormais une vue d’ensemble de la collection, et il est possible d’en dégager les singularités. Si Édouard André affichait une prédilection pour l’école vénitienne, son épouse ne se contentait pas de sa passion pour la peinture florentine et manifestait un intérêt moins courant pour les foyers du nord de l’Italie, comme Milan, Padoue ou Ferrare, tous bien représentés dans la collection (Mantegna, Del Cossa, Boltraffio, Moretto, Bramantino...). Celle-ci comprend par ailleurs des peintres absents des collections publiques françaises comme Francesco Vecellio, le frère de Titien.

Rendu possible par la restauration de tableaux parfois devenus illisibles, le travail d’attribution a été pour le moins productif. Avec un Lorenzo Monaco inédit (Vierge entourée de saints), Zanobi Strozzi, Neri di Bicci... Acheté comme une Sainte Catherine de Filippino Lippi, un panneau, dont tout le fond avait été repeint, a révélé une Sainte Marguerite d’Antioche. Surmontant un dragon, cette figure, représentée devant des rochers en perspective, est attribuée avec certitude à Fra Diamante, un peintre florentin dont le Louvre possède d’ailleurs une belle Nativité. D’autres partis de restauration paraissent en revanche discutables. Le rideau couvrant la partie inférieure de L’Annonciation dont Mariano d’Antonio pourrait être l’auteur, constituait certes un repeint, mais il masquait le grattage dont cette zone de la peinture avait été l’objet. Fallait-il l’ôter, sous prétexte que les figures de donateurs restaient en partie visibles ? On pourra toujours en discuter face à cette œuvre qui paraît ainsi à demi-ruinée. En revanche, d’autres tableaux restaurés devraient alimenter les spéculations, voire les fantasmes, comme ce panneau de cassone attribué à l’atelier de Verrocchio. Dans sa bottega, le peintre-orfèvre a vu défiler quelques-unes des futures gloires de la peinture florentine : Filippino Lippi, Ghirlandaio, Léonard... Lesquels de ses élèves ont participé à la Bataille et au Triomphe de Paul Émile, manifestement l’œuvre de plusieurs mains ? Face à la grâce de certains visages, à la sophistication des casques et des armures, il n’est pas interdit de rêver.

- LES PRIMITIFS ITALIENS DU MUSÉE JACQUEMART-ANDRÉ, jusqu’au 25 mars, Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 42 25 09 23, tlj 10h-18h. Catalogue, éd. Noesis, 200 p., 290 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Passions privées

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