Censure

Présumés coupables

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2001 - 364 mots

BORDEAUX

Fermée depuis trois mois, l’exposition "Présumés innocents" continue encore à faire des vagues, non pas dans le microcosme de l’art, mais sur le terrain judiciaire. Une association sise à Agen, La Mouette, a déposé une plainte pour pornographie auprès de la doyenne des juges d’instruction de Bordeaux.

BORDEAUX - Présentée du 8 juin au 1er octobre au Capc/Musée d’art contemporain de Bordeaux, “Présumés innocents” proposait une vision sans complaisance de l’enfance à travers le prisme de quatre-vingts artistes (lire JdA n° 111, 22 septembre 2000). Loin de présenter un monde de guimauve, et abordant parfois ouvertement des thèmes sexuels, le musée mettait en garde le public dès l’entrée sur la nature “crue” de certaines des créations. Alerté par des visiteurs, un inspecteur de la brigade des mineurs était même venu constater, le 19 septembre, que l’exposition ne comprenait “aucune œuvre présentant un caractère délictueux”.

Aujourd’hui, Annie Gourgue, présidente de l’association La Mouette, porte plainte pour “pornographie”, à la seule vue du catalogue puisqu’elle n’a pas visité l’exposition qu’elle dénonce pourtant vertement, taxant les images présentées “de vision d’adultes pervers, masochistes et morbides”, comme l’a rapporté Le Monde. Ces qualificatifs concernent les vingt-cinq artistes mis en cause, parmi lesquels figurent Nan Goldin, Annette Messager, Christian Boltanski ou Cindy Sherman.

Annie Gourgue ne demande ni plus ni moins que la saisie du catalogue et la destruction des œuvres qu’elle estime litigieuses. L’association, qui s’attache à veiller au respect de la dignité de l’enfance, dénonce, derrière les œuvres, une certaine représentation de l’enfance qu’elle croit réprimée par la loi. Me Christine Maze, l’avocate de l’association, entend s’appuyer sur le nouveau Code pénal qui condamne “les images de mineurs, à caractère pornographique ou violent”.

De son côté, l’une des commissaires de l’exposition, Stéphanie Moisdon-Tremblay, atterrée, considère que “cette action est une atteinte extrêmement grave à la liberté d’expression, à la dignité de l’artiste, au respect des œuvres et à la mission des institutions et des intellectuels”. Cette affaire pourrait être lourde de conséquences à la fois pour l’œuvre des artistes, mais aussi pour les conditions de présentation de ces créations. Les parties doivent en tout cas prendre leur mal en patience : l’instruction s’annonce d’ores et déjà longue.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Présumés coupables

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque