La disparition de Chen Zhen

Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2001 - 679 mots

Chen Zhen est décédé d’un cancer foudroyant à Paris le 13 décembre. Le critique et commissaire indépendant Hou Hanru évoque la carrière de l’artiste d’origine chinoise.

Chen Zhen a été à l’origine du mouvement d’avant-garde du milieu des années quatre-vingt en Chine continentale. Il a, avec ses camarades, décidé de puiser son inspiration dans la philosophie chinoise traditionnelle. Il faut se rappeler que, sous Mao Zedong, et surtout durant la Révolution culturelle, la culture chinoise traditionnelle était interdite. Le retour à la tradition était une façon de trouver des voies de rechange à l’idéologie officielle et une stratégie de reconstruction culturelle. Le réexamen de la culture traditionnelle et la compréhension de la culture de l’Occident constituaient le moteur de la modernisation de la Chine, ce que Chen Zhen appelle “la transexpérience”, ou le processus de fusion/transcendance. Pour réaliser la transexpérience, il faut “fuir” son territoire. Autrement dit, ce n’est que par la déterritorialisation qu’il est possible d’acquérir une expérience suffisante des autres cultures, sociétés et modes de vie pour les “fusionner” et les “transcender”. L’émigration et la relocalisation deviennent des actions efficaces, sinon inévitables. Elles permettent d’atteindre vis-à-vis sa propre culture la distance critique indispensable à tout projet de rénovation culturelle et sociale.
Fort de ce principe, Chen Zhen a émigré à Paris en 1986. Face à une société de consommation baignant dans la richesse matérielle et les crises écologiques, il a fondamentalement changé de travail. Il a abandonné la peinture au profit des installations, qui lui permettaient de travailler avec une gamme plus vaste de matériaux. Les installations le distanciaient aussi des techniques de peintures traditionnelles et le laissaient s’exprimer à partir de sa position et de ses expériences de “nomade” déplacé en Occident. Avec ses installations, il a pu bâtir un système reliant la compréhension orientale et la réalité occidentale. Ce nouveau système avait pour objectif de rebâtir le “pont” entre la création humaine et les origines du monde, le T’chi. “Le but de mon travail depuis quelques années est de situer des biens de consommation, surtout des biens abandonnés, dans de nouvelles relations afin d’établir un dialogue entre les objets, les êtres humains et la Nature, a-t-il déclaré en 1993. En exposant le cercle vicieux des relations entre ces trois parties, je tente de définir un ‘projet’ de sauvetage de la réalité. C’est ce que j’appelle le ‘post-traitement’ des objets et de l’information ; il redonne vie à ces objets et à l’information.”

Chen Zhen a créé une thérapie pour les maux de la société contemporaine. Souffrant de maladies chroniques depuis les années quatre-vingt, il considérait que les dysfonctionnements de son corps étaient une métaphore de la perte d’harmonie entre la nature, l’homme et le monde qu’il fabrique. Faisant de la thérapie l’un des thèmes centraux de son travail, il a développé un langage spécifique pour “sauver” le monde inharmonieux. Il réunissait des objets plus spécifiquement issus de la société de consommation, et les entraînait dans un nouveau processus de circulation – une sorte de “recyclage écologique”. Il a ainsi conçu une installation comprenant de la cendre de journaux, de magazines et de livres brûlés. Il a même exploré Internet en tant que nouvel espace de communication et de réflexion critique. Ce faisant, il a insufflé une nouvelle vie dans les débris du monde industriel/post-industriel. Ce processus, selon les termes de l’artiste, “est lié au futur de l’Homme, ou à la post-humanité”.

Malheureusement, un cancer fut récemment dépisté au dernier degré dans son corps. L’artiste a été incroyablement combatif et courageux vis-à-vis de la maladie. Mais le mal était trop sérieux pour être guéri. Chen Zhen est mort à 5h20 du matin, le 13 décembre 2000, à quarante-cinq ans. Il espérait encore développer, même lors des dernières semaines de sa vie, des projets plus ambitieux encore dans le futur, pour intensifier sa déjà réelle contribution à la scène artistique mondiale. Son dernier projet a ainsi été réalisé quelques jours seulement avant sa mort pour l’ARC, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, à l’occasion de l’exposition “Paris pour Escale” qui s’est ouverte le 6 décembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : La disparition de Chen Zhen

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