Phillips : avis de records

Sept tableaux de la collection Berggruen en vente à New York

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2001 - 864 mots

Des tableaux exceptionnels de la collection Heinz Berggruen – cinq Cézanne et deux Van Gogh – seront mis en vente le 7 mai à New York chez Phillips. Ils ont été confiés à Simon de Pury, nouveau patron de l’auctioneer et grand ami du marchand d’art, qui a très modestement estimé l’ensemble à 80 millions de dollars. Un prix qui pourrait, selon certains professionnels, être approché par une seule de ces œuvres, une Montagne Sainte-Victoire, peinte par Cézanne vers 1888-1889.

NEW YORK - “J’étais mon meilleur client (...) Il m’arriva d’avoir l’impression que ma galerie n’était qu’un prétexte pour agrandir ma collection”, écrit dans son autobiographie le marchand d’art Heinz Berggruen, incurable et compulsif collectionneur (J’étais mon meilleur client. Souvenirs d’un marchand d’art, L’Arche, 1997). Né le 6 janvier 1914 à Berlin, il quitte la capitale allemande à l’âge de vingt-deux ans pour s’installer à Paris. Il ouvre, en 1947, son premier espace, à la pointe de l’île de la Cité, sur la place Dauphine, juste au-dessous de l’appartement du couple Montand-Signoret et face à celui d’Ida Chagall, la fille du peintre, avant de s’installer deux ans plus tard rue de l’Université. Il côtoie nombre de grands artistes du XXe siècle dont Picasso qu’il rencontre chez lui, en 1950, au 7 de la rue des Grands-Augustins. “Sabartès, le secrétaire de Picasso, nous ouvrit avec son air bougon et taciturne, et Tzara fit les présentations. (...) Sur le plan physique, Picasso était déjà impressionnant : son beau visage, aux traits réguliers, ses yeux magnifiques, immenses, magnétiques, son corps puissant et trapu – tout cela semblait couler dans un seul moule, comme s’il avait fait de lui-même un de ses chefs-d’œuvre. Dès cette première rencontre, j’étais sous le charme.” La collection Berggruen, l’un des plus importants ensembles de tableaux modernes de ces cinquante dernières années, comprend de nombreux Picasso. Quatre-vingt-cinq sont conservés et exposés à Berlin depuis 1996, dans un édifice du XIXe siècle construit par Stüler, face au château de Charlottenbourg. Réuni sous la bannière “Picasso et son temps – collection Berggruen”, l’ensemble, composé de 170 toiles, dont 55 Klee, 16 Matisse, 3 Giacometti et 2 Braque, a été acquis par l’Allemagne, en début d’année, pour 1,3 milliard de francs. Environ 50 % de sa valeur, puisque l’ensemble était “modestement” estimé plus de 2,6 milliards de francs. La moitié de la somme sera réglée sur dix ans par l’État fédéral, l’autre sera prise en charge par la Ville de Berlin et des investisseurs privés.

Des garanties ont été données à Berggruen
Sept tableaux de Cézanne et Van Gogh ont été soustraits à cette transaction. Le marchand a sans doute voulu compenser le “deal” jugé insuffisant, en mettant en vente sept œuvres importantes. Confiées à Phillips auctioneers, elles seront vendues aux enchères, le 7 mai 2001 à New York. La maison, contrôlée par Bernard Arnault, n’est pas propriétaire de ces toiles qui auraient été simplement consignées. “Nous avons donné des garanties à Heinz Berggruen qui est intéressé aux résultats de la vente”, souligne de façon sibylline Simon de Pury, nouveau président de Phillips. L’œuvre majeure de la vente est une Montagne Sainte-Victoire de 1888-1889 (65 x 81 cm), recensée dans le Catalogue des peintures de Paul Cézanne de John Rewald sous le n° 631. Le marchand parisien Daniel Malingue l’estime à environ 60 millions de dollars (420 millions de francs). “Cézanne, Gauguin, Van Gogh et Seurat sont, à mon avis, les quatre grands peintres qui ouvrirent la voie à l’art européen du XXe siècle. Je cite Cézanne en premier – que Picasso appelait notre père à tous – car ni le Cubisme, ni le chemin ayant mené à l’abstraction ne sont concevables sans le maître d’Aix”, écrit Berggruen, qui acheta en 1958 son premier Cézanne, un portrait à l’aquarelle de son jardinier Vallier. Quatre autres œuvres du maître seront proposées aux enchères, trois huiles, Fillette à la poupée, de 1902-1904 (environ 20 millions de dollars selon des professionnels), Femme à la poupée des années 1885-1895 (12 à 15 millions de dollars), L’Allée à Chantilly de 1888 et une belle mine de plomb et aquarelle de 1902-1906, Le Jardin des Lauves : Vue sur Aix et la cathédrale de Saint-Sauveur.

S’ajoutent à ces cinq œuvres, deux Van Gogh dont une huile exceptionnelle de 1888, Le Jardin public (J.-B. de Faille, True works of Vincent Van Gogh, n° F 472) qui a appartenu à de grandes collections allemandes, celle de Ernst Cassirer et celle de Paul Mendelssohn-Bartholdy à Berlin. Berggruen est entré en possession de ce tableau en 1988. Celui-ci a été échangé à un marchand new-yorkais (Acquavella, semble-t-il) contre huit tableaux de Matisse pour une valeur totale avoisinant les 40 millions de dollars. “Il m’était apparu clairement que je n’aurais sans doute plus jamais la chance de tomber sur un Van Gogh de cette importance,” explique le marchand qui acquit également un dessin de 1888 à la plume de roseau et à l’encre brune, Arles : Vue des champs de blé lequel pourrait atteindre 4 à 5 millions de dollars.

- Les tableaux seront exposés du 22 au 25 mars à l’hôtel de Noailles, 11 place des États-Unis, dans le XVIe arrondissement de Paris, de 10h à 19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : Phillips : avis de records

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