Le papier revient en force

L’essor du marché du dessin contemporain

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2001 - 911 mots

Des prix soutenus qui dépassent parfois la cote des peintures, des ventes spécifiques autour du support papier et une création contemporaine active, quoique un peu occultée par la vague « photo » : il n’y a pas de doute, le marché du dessin a le vent en poupe. Les œuvres les plus récentes attirent les amateurs, pour l’amour du papier.

Créées il y a deux ans chez Christie’s, les ventes de dessins sont organisées sous la direction du département “Œuvres sur papier”– une cellule à part entière pour un art à part entière – et sont vendues également par les départements “Modern Art” et “Post War”.

On y trouve une sélection de dessins d’artistes, de Degas jusqu’aux années 1970.  Deux fois par an à New York, des œuvres signées Jasper Johns, Rauschenberg, Barnett Newman, Twombly ou encore des études de nus de Kooning séduisent le marché américain jusqu’à pousser l’enchère à un million de dollars. Les acheteurs européens qui suivent les deux vacations londoniennes annuelles, font monter les prix jusqu’à 500 000 livres (5,1 MF) pour un Dubuffet, un Poliakoff ou un Hockney sur papier.

Un secteur à l’origine plus accessible que la peinture : il faut compter par exemple de 80 000 à 200 000 francs pour une gouache de Poliakoff et de 100 000 francs à 2 millions de francs pour une huile du peintre. Mais pour les pièces majeures, ce n’est pas toujours vrai. Les dessins de Miró et Picasso, très prisés, peuvent dépasser le prix de leurs toiles et atteindre 4 millions de francs. “Le dessin est un art magistral au cœur du travail des artistes, c’est ce qui nous a décidé à mettre en valeur ce marché, explique Emmanuel Clavé, directeur du département des tableaux, dessins et sculptures du XXe siècle chez Christie’s. On a créé une demande et aujourd’hui de vraies collections d’œuvres sur papier se sont constituées dans l’esprit classique du cabinet d’amateur.” Ces ventes de Works on paper, où sont admis les grands noms du XXe siècle, “marchent à merveille”, avec une évolution des prix pour les pièces importantes qui suit tout simplement le mouvement de hausse du marché de l’art en général.

En revanche, les mouvements artistiques de la fin du XXe siècle n’y figurent pas pour l’instant. Pas même Basquiat, qui a beaucoup dessiné, et que l’on retrouve dans les ventes d’art contemporain. “Le secteur des avant-gardes présente peu de pièces car il y a actuellement peu de peintres sur la scène artistique, remarque Christophe Durand-Ruel, spécialiste en art contemporain chez Christie’s France. La photo a largement pris le dessus.” Pourtant, en cherchant un peu dans les ventes publiques, on voit apparaître de temps en temps des Combas, ou quelques études préparatoires de Damien Hirst.

Le 16 décembre 2000, plusieurs dessins – des œuvres en tant que telles – de Fabrice Hybert ont été adjugés bien au-delà de leurs estimations : Retenez bien ceci, un fusain, aquarelle et collage sur papier de 1993 est parti à 64 240 francs et Les Cinq Sens, une œuvre composée de cinq dessins sur papier enduit de résine époxy, s’est envolée à 376 600 francs. De petites aquarelles de l’artiste, qui relèvent d’études de projet, se vendent autour de 10 000 francs. “Beaucoup de grands sculpteurs sont aussi d’excellents dessinateurs”, souligne Florence de Botton, du département d’art contemporain de Sotheby’s à Paris, qui cite Louise Bougeois, Richard Serra ou Sol LeWitt dont les enchères les plus importantes plafonnent à 50 000 dollars ; pour la peintre Agnès Martin, les prix moyens se situent autour de 70 000 dollars à New York. “Sans oublier Baselitz, rajoute-t-elle, véritable maître du dessin à la façon de Dürer”, qui cote 150 000 francs.

Marchands de papiers
Du côté des galeries d’art s’est constitué un véritable marché d’amateurs de dessins. La galerie parisienne Lucie Weill et Seligmann expose principalement des feuilles du XIXe siècle aux créations les plus actuelles, de Bonnard à Barceló. “Parce que la clientèle du dessin n’est pas fixée sur une époque, souligne le directeur de la galerie, Charles Zalber, elle est simplement fascinée par
le papier, cette chose si fragile qui traverse les siècles.” Même constat pour Patrick Bongers, de la galerie Louis Carré & Cie, qui prend soin de ne pas mélanger l’œuvre peinte de ses artistes de leurs productions sur papier, en organisant deux expositions distinctes par artiste : Bazaine ou Estève pour les classiques, Cueco, Télémaque et Di Rosa pour les autres.

Tous les artistes de la galerie ont un attrait pour le support papier, même le groupe BP qui a réalisé de grandes huiles de vidange sur feuille. Et il n’y a pas que des artistes photographes ou vidéastes chez les galeries d’art contemporain les plus branchées. La preuve en est : il suffit de faire le tour des galeries de la rue Louise-Weiss, dans le XIIIe arrondissement de Paris, pour s’en rendre compte. Autour de 10 000 francs, chez Jennifer Flay, on peut acquérir un dessin pastel, acrylique ou crayon sur papier de Karen Kilimnik, une aquarelle d’Amy Vogel à la galerie Air de Paris ou une technique mixte sur papier de Jean-Luc Blanc chez Art : Concept qui confirme :”le papier revient en force”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : Le papier revient en force

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