Pietro C. Marani : Tous en Cène à Milan

Deux cents œuvres autour de la célèbre fresque de Léonard

Le Journal des Arts

Le 16 mars 2001 - 773 mots

Deux ans après la fin de sa restauration, La Cène de Léonard de Vinci est l’objet d’une ambitieuse exposition au Palazzo Reale, à Milan. En deux cents œuvres, « Le génie et les passions » envisage aussi bien les antécédents et la genèse du chef-d’œuvre, que sa glorieuse postérité. Pietro C. Marani, spécialiste de Léonard, nous présente cette exposition, dont il est le commissaire.

Quelle a été l’origine du projet ?
Cette exposition est le fruit des efforts de nombreux spécialistes qui ont collaboré en vue d’améliorer le projet, chacun dans leur domaine, pendant cinq années. Nous avons voulu reconsidérer La Cène après restauration. Nous sommes à présent en mesure d’apprécier une œuvre plus proche de ce qu’elle était à l’origine, de l‘appréhender non seulement du point de vue de la conservation, mais aussi de celui de l’histoire de l’art. Léonard introduit en effet dans cette œuvre des nouveautés jusqu’alors inimaginables dans l’iconographie de la Cène, toujours fixe, hiératique, immobile : un objet de pure contemplation. Il introduit non seulement les sentiments, les “mouvements de l’esprit”, mais aussi, comme le faisait remarquer André Félibien, dès 1666, les “passions”. L’artiste rompt ainsi avec le passé et devient un modèle pour ses contemporains et les générations à venir, en bien comme en mal. De Romanino à Dürer, en passant par d’autres artistes d’Europe du Nord, nombreux sont ceux qui firent résistance au modèle ou qui en firent une satire, tel Hogarth.

Vous avez obtenu des prêts des plus grands musées du monde.
Nous présentons quatorze dessins de Léonard, tous préparatoires à La Cène. Huit d’entre eux sont exceptionnellement prêtés par la reine Elizabeth II, les autres par l’Albertina de Vienne, le Metropolitan de New York, la Bibliothèque royale, la Pinacothèque de Brera et la Bibliothèque Ambrosienne. Nous présentons également une tenture d’autel de 1320, superbe et très délicate, en soie brodée de fils d’or et d’argent provenant de la cathédrale de Toulouse. Citons aussi la splendide Cène d’Andrea da Milano, conservée dans le sanctuaire de Saronno, treize statues polychromes, peintes par Alberto da Lodi, lesquelles ont retrouvé leurs précieuses couleurs grâce à une récente restauration. Celles-ci constituent en quelque sorte La Cène de Léonard en trois dimensions. Viennent ensuite un grand nombre d’objets d’art. La section sur l’iconographie des XIIIe et XIVe siècles, véritable exposition dans l’exposition, est particulièrement significative. Elle comporte une œuvre importante de Taddeo di Bartolo et des objets du milieu du XIIe siècle, parmi lesquels une peinture de l’école de Nonantola, provenant du trésor de l’abbaye de San Silvestro, qui transmet une culture figurative de la fin de l’époque ottonienne. Par ailleurs Oxford nous prête la copie monumentale de La Cène réalisée par Giampietrino, la plus proche de l’originale.

Quels points nouveaux entend souligner l’exposition ?
L’une de ces nouveautés concerne l’Autoportrait présumé de Léonard de Vinci à la sanguine, conservé à la Biblioteca Reale de Turin. Dans un inédit de Sodoma, un Ecce Homo daté de la fin du XVe ou du début du XVIe, le visage d’un garde reproduit exactement les traits du dessin de Turin. Alessandro Ballarin et David Alan Brown avaient déjà proposé d’y voir une étude pour un apôtre. Cette peinture confirmerait cette hypothèse. À la charnière des XVe et XVIe siècles, Léonard avait quarante-huit ans, or l’homme sur le dessin de Turin en paraît soixante, voire plus. Ce n’est pas un hasard s’il était daté jusqu’à présent de 1510-1515. Naturellement, il s’agit d’une hypothèse que nous soumettons aux autres experts. L’autre nouveauté à débattre porte sur une peinture d’Edgar Degas provenant du Musée d’Orsay. Degas semble avoir utilisé une étude de la main gauche de saint Thomas par Léonard, pour la main de Madame Bellelli dans le portrait de la famille éponyme. Nous savons que lors de ses voyages en Italie, l’artiste a copié des œuvres attribuées à Léonard et qu’il en a également copié au Louvre. Dans ce cas pourtant, le peintre français a dû travailler sur un dessin (soit l’original, soit la copie) car des repeints du XVIIe siècle avaient transformé cette main en un pain. Il n’a donc pas pu la contempler en découvrant La Cène à Milan.

Le parcours englobe donc de nombreuses époques.
Il arrive jusqu’au contemporain, avec Warhol, en passant par les relectures de la Cène faites à l’époque néoclassique et romantique, lorsque la peinture historique reconstituait des environnements évoquant La Cène. Elle était perçue comme le symbole de toute la Renaissance.

- Le génie et les passions. Léonard de Vinci et la Cène. Les prÉcÉdents, les dessins, les reflets d’un chef-d’œuvre, jusqu’au 17 juin, Palazzo Reale, piazza Duomo, Milan, tél. 39 02 86 46 13 94, tlj sauf lundi 9h30-18h30. Catalogue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : Pietro C. Marani : Tous en Cène à Milan

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