Le cadeau d’adieu de Jean Tiberi

Un projet immobilier au cœur du Marais mobilise les riverains

Le Journal des Arts

Le 30 mars 2001 - 660 mots

Dans le secteur sauvegardé du Marais, à Paris, un permis de construire délivré à la dernière minute par Jean Tiberi soulève la colère des riverains de l’ancien hôtel Fieubet, construit par Jules Hardouin-Mansart. En autorisant l’école qui y est installée à s’étendre et à créer des parkings, il engage le quartier dans la voie d’une densification accrue, à contre-courant de la politique de la nouvelle municipalité.

PARIS - Outre les promotions et les nominations de dernière minute, Jean Tiberi a laissé à son successeur d’autres dossiers embarrassants. Quelques jours avant le premier tour des élections municipales, il a délivré à l’école Massillon un permis de construire qui était bloqué depuis quatre ans. Chargée de conseiller le maire pour tous les projets ayant un impact sur le patrimoine, la Commission du Vieux Paris l’avait pourtant rejeté à l’unanimité. En effet, derrière le nom actuel, un peu trompeur, apparaît l’ancien hôtel Fieubet, élevé en lisière du Marais vers 1680 par Jules Hardouin-Mansart, architecte, faut-il le rappeler, de Versailles et du Dôme des Invalides. Si la façade sur le quai des Célestins a pris au XIXe siècle un visage néo-baroque, pour le moins incongru, celle qui donne sur jardin conserve encore son aspect originel (même si les menuiseries ont été changées).

Soucieuse de s’étendre, l’école privée, qui possède déjà une annexe de l’autre côté de la rue des Lions-Saint-Paul, a demandé à l’architecte Jean-Pierre Duthoit de concevoir un édifice de quatre étages, en regard de la façade d’Hardouin-Mansart. Curieusement, le plan de sauvegarde du Marais adopté en 1996 préservait une zone constructible sur la moitié de l’actuelle cour de récréation, une parcelle acquise en 1995 auprès de la Ville. Pour financer ces travaux, et c’est aussi là que le bât blesse, quarante-sept places de parking seront créées en sous-sol. D’ores et déjà, les riverains, qui n’ont jamais été consultés, se sont mobilisés et ont constitué une association pour protester contre ce projet. En collaboration avec la SPPEF (Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France), ils s’apprêtent à déposer un recours en annulation du permis de construire, accompagné d’une demande de sursis à exécution. Leurs griefs sont multiples. Il y a d’abord les risques structurels pour les immeubles environnants, liés au creusement de trois niveaux de sous-sol sur ce terrain. Surtout, qui dit parking, dit circulation. À l’heure où la nouvelle équipe municipale entend restreindre la place de l’automobile dans la ville, la création de ce type d’équipements semble aller à contre-sens. Les élus Verts du IVe arrondissement se sont déjà saisis du dossier.

“En tant qu’architecte, je n’ai pas à refaire le plan de sauvegarde”, se défend Jean-Pierre Duthoit. Tout en affirmant qu’“il n’y a jamais eu de jardin” à cet endroit, il se propose d’édifier un bâtiment rappelant des constructions de jardins, telles des serres ou des pergolas. Aussi l’extension de l’école sera-t-elle revêtue, sur rue comme sur cour, d’un treillage, en bois ou en métal, dissimulant des façades vitrées. Il masquera, du côté de la rue des Lions-Saint-Paul, les escaliers et les galeries donnant accès aux salles de classe. Les riverains s’indignent que cette façade soit traitée comme une arrière-cour. Si Jean-Pierre Duthoit en appelle aux mânes de Charles Garnier et de Le Corbusier pour expliquer par avance le rejet dont son projet pourrait être victime, le combat, une fois de plus, n’est pas celui de l’architecte visionnaire et créatif contre une masse aveugle et conservatrice. Les opposants à cette construction, qui comptent d’ailleurs des architectes, avancent au contraire des arguments dictés par le souci d’un urbanisme concerté. Si jamais les travaux étaient engagés, d’importants vestiges archéologiques pourraient apparaître lors du creusement de la cour, nécessitant l’organisation de fouilles. En effet, le site correspond à l’ancienne berge de la Seine, et pourrait se révéler intéressant pour les périodes pré et protohistoriques. Par ailleurs, on se trouve à l’emplacement de l’hôtel royal de Saint-Paul et de l’hôtel des archevêques de Sens. Un monument peut en cacher d’autres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Le cadeau d’adieu de Jean Tiberi

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