Delacroix en vedette

Deux ventes d’art d’Orient à Paris en mai et juin

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2001 - 815 mots

Initié en France au début des années 1980, le marché de l’art orientaliste a bénéficié de la réévaluation d’une peinture académique longtemps décriée. Les multiples expositions comme « Majorelle » à l’Institut du monde arabe ou celle consacrée à Courbet et l’orientalisme actuellement en préparation à Ornans, contribuent, sans nul doute, à apporter un nouveau regard sur cette peinture décorative. Au programme des deux prochaines ventes d’art d’Orient figurent, aux côtés de tableaux, une quarantaine de céramiques d’Iznik présentées les 14 et 15 mai chez Tajan tandis qu’un Delacroix devrait être la vedette des vacations des 18 et 19 juin chez Gros & Delettrez.

PARIS - Les odalisques capiteuses tout en rondeurs, scènes pittoresques au parfum de chromo génèrent des enchères soutenues sans déclencher toutefois d’envolées fulgurantes, à l’exception de quelques grands maîtres tels Delacroix ou Gérôme, dont la cote dépasse celles des autres peintres voyageurs. La moyenne actuelle pour un bon tableau orientaliste se situe entre 300 et 500 000 francs. Malgré la raréfaction des œuvres, les amateurs épousent généralement les estimations. Affinités identitaires ou nostalgie post-coloniale déterminent leurs achats. Si, pendant longtemps, les Algériens avaient la primauté, talonnés par les Turcs et les Moyen-Orientaux, la demande des Marocains et, plus récemment, des Tunisiens s’est imposée. Un marché potentiel se dessine également pour les œuvres provenant du Liban, mais il risque de demeurer embryonnaire en raison de la rareté de cette production. Bien qu’un certain nationalisme motive les acheteurs orientaux, certaines œuvres “faciles” et colorées attisent l’engouement des Occidentaux. “Il est très important d’identifier le lieu représenté. Les Français, par tradition historique, sont attachés à l’Afrique du Nord. Les Britanniques préfèrent la Terre Sainte”, souligne l’expert Lynne Thornton. Alors que les goûts anglo-saxons restent circonscrits au XIXe siècle, certains peintres du XXe siècle, comme Jacques Majorelle, suscitent la faveur des Français. Les ventes sont parfois l’occasion d’un grand brassage mariant, dans une déclinaison rhétorique, arts décoratifs et peintures orientalistes avec des souvenirs exotiques.

Quarante céramiques d’Iznik
Les deux ventes orchestrées par l’étude Tajan les 14 et 15 mai offrent ainsi conjointement peinture orientaliste et céramiques ottomanes. La première vacation propose 203 lots, dont une collection de 40 céramiques d’Iznik comprenant plusieurs pièces de formes inédites. L’expert de la vente, Lucien Arcache, met l’accent sur un plat au couple turc datant de la fin du XVIe siècle, issu de l’ancienne collection Acheroff et qui pourrait doubler son estimation établie à 250-350 000 francs. Cet ensemble, “plus important en quantité et en diversité que la collection du docteur Chompret”, selon Lucien Arcache, entend rivaliser de succès avec celle-ci, qui avait pourtant totalisé 10,5 millions de francs en février dernier. La collection Chompret présentait pourtant 37 lots vendus sans exception, dont un est parti à 3,6 millions, établissant un record pour un plat dit de Damas. Le marché d’Iznik, contrairement à d’autres segments de l’art islamique, est international. Si les acheteurs turcs sont traditionnellement actifs, les Occidentaux sont également sensibles à l’ornementation florale de ces céramiques. La vente comprend également une toile de Benjamin Constant intitulée Cortège du pacha de Tanger près de la Grande Mosquée estimée 800 000 à 1 million de francs et pour laquelle l’expert espère un record en raison de l’intérêt soutenu de notables marocains. Une œuvre de Jean-François Portaels, Rêveuse au panier de roses à Tétouan, (400 et 500 000 francs) pourrait éveiller les convoitises. Les grands tableaux soignés de ce spécialiste du portrait féminin sont en effet très prisés. La vacation du lendemain présente divers objets d’Orient à des prix relativement modestes, à l’exception d’une aiguière arménienne du XIXe siècle estimée 200 à 250 000 francs.

Un Delacroix estimé 14 à 18 millions de francs
L’étude Gros & Delettrez dispersera les 18 et 19 juin des œuvres majeures de peintres voyageurs. Première surprise, l’absence de Lynne Thornton, l’expert quasi attitrée de l’étude depuis 1989. Seconde surprise, la présence d’un Delacroix, qu’il serait restrictif d’assimiler aux artistes orientalistes. Pièce maîtresse de la vente donc, une huile sur toile du maître signée et intitulée Cavalier arabe traversant un gué. Cette composition resserrée et dramatique figurait dans la collection d’Adolphe Moreau, premier biographe du peintre. La notice fait référence au Choc de deux cavaliers, de plus grande facture, qui s’est envolé à Drouot, en juin 1998, pour 51,5 millions de francs. En dépit de similitudes esthétiques, l’expert Frédérick Chanoit juge l’estimation de 14 à 18 millions plus conforme à cette œuvre de petite dimension. La vente présente également trois tableaux de Théodore Frère, spécialiste de scènes égyptiennes, dans une fourchette oscillant entre 50 et 350 000 francs, ainsi qu’une importante toile de Fabius Brest intitulée Place d’Al Meidan à Constantinople. Malgré les inquiétudes liées à la dévaluation de la livre turque, les collectionneurs turcs sont pressentis pour cette évocation “touristique” estimée entre 400 et 600 000 francs. La vente comprendra également plusieurs lots de bijoux ainsi qu’une trentaine de meubles syriens présentés par le cabinet Soustiel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°126 du 27 avril 2001, avec le titre suivant : Delacroix en vedette

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