Des meubles sous surveillance

La protection des objets mobiliers privés est renforcée par les députés

Le Journal des Arts

Le 27 avril 2001 - 937 mots

Le 3 avril, les députés ont adopté à l’unanimité une proposition de loi renforçant la protection des objets et ensembles mobiliers, insuffisamment pris en compte par la loi de 1913 sur les monuments historiques. Introduisant la notion d’ensemble liée au maintien in situ, le législateur a voulu “une loi équilibrée entre la protection du patrimoine et les droits de propriétaires�?, estime son initiateur, le député des Yvelines Pierre Lequiller. Néanmoins, les propriétaires en question considèrent que les aider à entretenir leurs demeures constitue le meilleur moyen d’empêcher la vente des meubles.

PARIS - Au début des années 1990, une société japonaise, la Nippon Sangyoo, avait systématiquement dépouillé de leurs meubles et de leurs décors une série de châteaux en sa possession, tels Rosny-sur-Seine, Louveciennes, Millemont ou Sourches. Contrairement à ce que l’émotion provoquée par la révélation de ce forfait pouvait suggérer, ce pillage avait été perpétré “en toute légalité”, comme le rappelle Pierre Lequiller (Démocratie libérale), à l’époque maire de Louveciennes. Partie émergée d’une évasion patrimoniale qui alimente les salles des ventes de Londres ou New York, cette affaire avait mis en lumière les lacunes de la loi du 31 décembre 1913, relative à la protection des monuments historiques. Pour corriger la législation, une première proposition de loi avait été déposée en 1997 par Pierre Lequiller. La dissolution avait donné un coup d’arrêt à cet élan. Depuis, à chaque velléité de réintroduire ce texte par la voie parlementaire, le ministre de la Culture promettait le dépôt prochain d’un projet de loi. À mesure que le temps passait, il est apparu que celui-ci ne serait pas débattu avant la fin de la législature. Tandis que le Sénat s’était également saisi de cette question, la proposition de 1997 a alors été remise sur le métier.

La notion d’ensemble
Le texte qui vient d’être voté complète le dispositif dérivé de la loi de 1913. L’une des avancées les plus significatives concerne la possibilité de classer un ensemble mixte composé à la fois d’un immeuble par nature, mais aussi d’immeubles par destination (cheminées, boiseries...) et d’objets mobiliers qui présentent une cohérence exceptionnelle en raison de liens historiques, artistiques, techniques ou scientifiques qui les unissent. La notion d’ensemble mobilier favorise le maintien in situ ou à tout le moins empêche la vente par lots.

Si les objets mobiliers appartenant à des propriétaires privés pouvaient être classés (10 000 le sont), ils pourront désormais être inscrits à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, en accord avec le propriétaire. Cette possibilité avait été écartée en 1970, lors de la révision de la loi de 1913. Trente ans de perdus pendant lesquels la France, victime de la crise économique et l’internationalisation croissante du marché de l’art, s’est un peu plus vidée de son patrimoine. Dorénavant, les services de l’État devront être informés de la cession d’un bien inscrit au moins deux mois avant la transaction, et l’acheteur devra déclarer son acquisition dans les quinze jours. Au dernier moment, un amendement a permis d’écarter l’inscription d’office. “Nous allions tout droit à plusieurs effets pervers, note Jean de Lambertye, président de la Demeure historique, une association qui regroupe 2 500 propriétaires de manoirs et de châteaux. Cette disposition aurait entraîné un phénomène d’éviction.” Une façon pudique de désigner la dissimulation par les propriétaires de leurs objets de valeur, qui auraient alimenté un “marché parallèle par nécessité”. Témoin de la fermeté affichée par les députés, les sanctions pénales pour la violation de la loi de 1913 ont été renforcées. Et, pour certaines infractions, le droit des associations de défense du patrimoine à se porter partie civile a été formellement reconnu. Mais, “maintenant, il faut harmoniser la législation européenne”, estime avec justesse Pierre Lequiller.

Incitation fiscale minimum
“Il n’y a aucune incitation fiscale à accepter l’inscription ni le classement”, tempère toutefois Jean de Lambertye. Au cours de la discussion parlementaire, les députés ont en effet interpellé Michel Duffour en jugeant trop timides les mesures fiscales proposées par le gouvernement. Outre l’exonération totale, déjà existante, des droits de mutation pour le propriétaire ouvrant sa propriété au public pendant cent jours par an, le gouvernement a décidé – afin “d’inciter” un propriétaire “à demander ou accepter le classement” – une exonération partielle (50 %) quand celui-ci s’engage à ouvrir sa demeure au moins trente jours par an. Par ailleurs, le calcul de l’indemnité de servitude, dans le cas d’ensembles mixtes, inclura les immeubles par destination et le mobilier. Mais, pourquoi par exemple ne pas offrir une exonération sur la restauration des meubles ? ou sur les assurances ? Peut-être faudrait-il aussi déplafonner les taux de subvention, ou en tout cas instaurer un minimum ? Si, aujourd’hui, l’État peut contribuer à hauteur de 50 % aux travaux sur un monument privé classé, et de 20 % s’il est seulement inscrit, la faiblesse des crédits de restauration rend cette participation souvent théorique. L’augmentation de ces crédits constituera un enjeu important lors de la discussion du budget de la Culture.

Des critiques ont également été formulées contre les dispositions introduites à la demande du gouvernement touchant des sujets sans rapport avec le mobilier. Regrettant au passage que son association ait été consultée tardivement, le président de la Demeure historique exprime la préoccupation de ses adhérents : “Si cette loi est votée en l’état, les travaux sur les monuments inscrits devront toujours faire l’objet d’un permis de construire, mais en plus d’une autorisation administrative délivrée par l’architecte des bâtiments de France. Quand on connaît les délais, on est un peu inquiet.” Les édifices classés n’encourent pas ce double contrôle. Pour le ministère de la Culture, cela revient à aligner le régime des immeubles inscrits sur celui des abords.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°126 du 27 avril 2001, avec le titre suivant : Des meubles sous surveillance

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