Le Prado vire néo-libéral

Le Journal des Arts

Le 11 mai 2001 - 505 mots

Le Musée du Prado est-il en train de céder aux sirènes du néo-libéralisme, au détriment de sa fonction culturelle ? Un rapport confidentiel analyse les conditions de sa transformation en société publique, et préconise l’augmentation du prix de l’entrée et la restriction de facto de la gratuité. Cette évolution se double d’une tentation de faire de l’institution madrilène un instrument politique.

MADRID (de notre correspondant) - El Periodico Del Arte [notre partenaire éditorial] a eu connaissance du rapport que The Boston Consulting Group a élaboré à la demande de la direction du Prado. Ce document confidentiel contient les “recommandations pour l’amélioration du statut juridique de la structure organisationnelle et les sources de financement du Musée du Prado”. Les recommandations proposées devraient selon toute vraisemblance provoquer de violentes polémiques. Lors d’une conférence de presse, Eduardo Serra, président de la Fondation (patronato) du Musée du Prado, a souhaité que l’institution soit transformée en société publique et adopte de nouveaux modes de financement. Mais, le rapport évoque d’autres questions même si, pour le moment, elles n’ont pas été dévoilées afin d’éviter les réactions de défiance de l’opinion publique et des salariés du Prado. D’une part, les responsables entendent augmenter le prix de l’entrée du musée en le faisant passer de 500 à 800 pesetas (de 20 à 32 francs), ce qui, selon les prévisions, réduirait la fréquentation de 10 %. Dans le même temps, le jour de visite gratuit pourrait changer : ce serait désormais le jeudi, au lieu du samedi après-midi et du dimanche matin.

Ce changement priverait de nombreux visiteurs de la possibilité d’accéder gratuitement à la pinacothèque, au moment où ils disposent réellement de temps libre. Le plan de financement n’a été prévu qu’à court terme. Grâce à ces mesures, les revenus passeraient de 445 millions de pesetas actuellement (17,5 millions de francs) à 1,037 milliard (40,8 millions de francs). En ce qui concerne le personnel, dans un premier temps, 50 personnes seraient embauchées, puis 240 à la fin de l’agrandissement, selon Eduardo Serra.

En revanche, ce dernier a soigneusement tu cette conclusion du rapport : “il est de plus nécessaire d’ajuster et d’améliorer le profil actuel des professionnels et plus spécialement des dirigeants”, ce qui “provoquerait le remplacement de 40 personnes, eu égard aux difficultés d’ajuster leur profil aux nouvelles fonctions”. Sans aucun doute, le manque de transparence a pour objectif de ne pas envenimer les relations avec les salariés ; pour l’heure, ceux-ci ne se sont pas opposés à la transformation du musée en société publique.

La polémique ne s’arrête pas là. Selon le rapport, le musée doit être “l’instrument le plus important de projection culturelle et politique de l’Espagne dans le monde” et prendre en charge “les plus hauts intérêts de l’État”. Cette instrumentalisation politique du Prado et cette vision extrêmement nationaliste (le musée est “un instrument et un témoignage d’une exceptionnelle valeur de la conscience et de l’identité de la nation espagnole”) s’opposent à la mission essentielle du musée : conserver de manière adéquate des œuvres d’art qui appartiennent à tous.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Le Prado vire néo-libéral

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