« Le conventionnel m’ennuie »

Portrait de Sabine Bourgey, expert en numismatique

Le Journal des Arts

Le 25 mai 2001 - 1081 mots

Sabine Bourgey, héritière d’une longue dynastie d’experts en numismatique fondée en 1875, a repris l’affaire familiale. Cette femme dynamique, qui est aussi présidente de la Compagnie des experts depuis 1997, vient de sortir un livre sur les héritages et en prépare un autre sur les monnaies et médailles fantastiques.

PARIS - On n’échappe pas à son destin. Telle pourrait être la devise de Sabine Bourgey. Héritière d’une dynastie d’experts en monnaies, cette jeune femme souriante, toujours vêtue de couleurs vives, a repris l’affaire familiale après la disparition de son père. “Ce travail était à l’origine un mariage de raison, il est devenu une passion”, s’exclame-t-elle.  Pouvait-elle y échapper ? “Sans doute pas, dès mon premier souffle je me suis trouvée en contact avec les monnaies puisque lorsque je suis née, le médecin pour arrondir mon nombril a appuyé dessus avec une pièce.” Faut-il y voir un signe du ciel ? Sans doute, car après avoir parcouru le monde, à la recherche d’autres aventures, elle est revenue au bercail. Le fameux fil rouge de Freud a bel et bien tissé la vie de quatre générations de Bourgey. La vie des arrière-grands-parents bascule sous la Commune : jouissant jusque-là de ressources immobilières, ils se retrouvent ruinés. En 1871, un journal populaire titre “Faillite des époux Bourgey”. Finie la vie de bourgeois aisé ; le grand-père Étienne doit rembourser les dettes. Et c’est alors que va se décider le sort de ses descendants. En 1875, il ouvre une officine quai Malaquais à Paris, pour y vendre des monnaies. C’est un Sud-Américain qui fera sa fortune ; il pousse la porte et achète tout le stock. Étienne Bourgey aime la belle vie mais sa sœur lui conseille de se marier. Trois enfants naissent : deux filles et Émile, le père de Sabine. “Mon grand-père souhaitait qu’une de ses filles reprenne l’affaire.” Le sort s’amuse décidément de cette famille puisque aujourd’hui encore c’est une femme qui dirige l’entreprise.

Installée rue Drouot, à deux pas de l’hôtel des ventes, dans un immeuble cossu, Sabine Bourgey a conservé les locaux et l’esprit du cabinet d’amateur du XIXe siècle : meubles anciens, tentures sombres et multitudes d’objets. Elle y a ajouté sa touche personnelle. “L’immeuble est envahi par les gens du Net et ici, c’est une enclave dans le temps. J’ai accroché des tableaux américains contemporains, enlevé quelques bricoles. On ne peut tout bousculer, notre spécialité court du VIIe siècle avant Jésus-Christ jusqu’au XXe siècle.” À l’entrée, le buste en plâtre du grand-père, bizarrement coloré, veille sur la maisonnée. “Je l’ai peint, c’est plus vivant, plus gai. Comme les dieux lares de la Rome antique, il protège ma maison.” Surprenant. Tout comme ces fauteuils Henri II installés face à son bureau et qu’elle vient de faire recouvrir de tissu léopard. Décalés.

“Aller voir au-delà du miroir”
Sabine Bourgey bouscule l’image du numismate traditionnel et joue parallèlement la carte de la tradition. “J’aime le Louis XVI et les tableaux d’artistes vivants, les biographies et la littérature américaine.” Son dernier stand à la Biennale des antiquaires – la reconstitution d’une forge contemporaine – a étonné ses clients. Une présentation pleine de fantaisie. “Un mot important. C’est une façon de s’approprier la réalité avec légèreté, le conventionnel m’ennuie. Il faut rendre cette vie agréable, c’est une politesse vis-à-vis des autres”, souligne cette femme qui a perdu ses trois êtres les plus chers, son mari, sa mère et son père en l’espace d’un an, en 1993.

Bardée de diplômes – doctorat d’histoire, licence de droit et d’histoire de l’art – elle avoue une passion pour l’Histoire et l’écriture qui ont bien failli l’entraîner vers une autre voie. Enfant unique, elle venait régulièrement au bureau le samedi avec son père, passionné de radiesthésie. Son grand-père avait, lui, été expert pour le “trésor d’Arras”, découvert dans le Pas-de-Calais. Une aventure qui lui monta un peu à la tête. ”Il a signé très cher un contrat chez un notaire avec le propriétaire du champ afin de pouvoir l’exploiter. Il l’a arpenté dans tous les sens avec un autre radiesthésiste et n’a jamais rien trouvé sauf un boulet !” Éclat de rire. Bref, la petite Sabine rêve devant les récits d’aventure, termine ses études en 1982 et, passionnée de journalisme, rédige un premier article sur les trésors. Pourquoi pas un livre ? Arrive alors la période la plus aventureuse de sa vie qui la mène aux États-Unis à la rencontre d’un chercheur de trésors. Il plonge au large des Bahamas, et vendra ses découvertes chez Christie’s en 1991 et 1992. Ce désir “d’aller voir au-delà du miroir” lui semble aujourd’hui assez proche de son métier, qui concrétise son goût pour le rationnel et l’irrationnel. De cette période de recherche aux États-Unis, il lui reste le sentiment “d’avoir été au bon endroit, au bon moment, de [s’]être trouvée en harmonie”.

Une sorte de pari de Pascal
Mais son destin l’attendait ailleurs. Fréquentant régulièrement le cabinet de son père, puis ceux de confrères à Zurich, notamment, où elle effectue un stage, elle se dit : ”il faut voir”. Une sorte de pari de Pascal. “Finalement, ça m’intéressait. Mon père est disparu brutalement un vendredi. Le lundi, j’ai repris ses dossiers.” Émile Bourgey lui léguait tout et lui transmettait, en outre, le fameux fil rouge. “Il me chargeait d’honorer la mémoire de mes grands-parents, c’était très beau.” Ses clients, de diverses nationalités, viennent de tous les milieux mais sa spécialité n’intéresse bizarrement que les hommes. Elle se souvient qu’André Breton venait déjà ici et collectionnait les monnaies gauloises. Sacha Guitry fréquentait aussi le lieu. “Malgré sa femme Lana Marconi qui grinçait, il ne s’est pas privé d’assouvir sa passion mais en contrepartie, l’a couverte de bijoux.” Elle évoque un changement dans l’esprit de la collection. “La culture classique se perd ; on recherche aujourd’hui plutôt la belle qualité qu’un rare portrait d’empereur.” Son amour pour l’Histoire et les histoires est satisfait par ces pièces qui racontent des tranches de vie. Elle-même collectionne un peu, et montre cette pièce barbare d’un dessin très moderne. “Elle m’avait échappée, je l’ai recherchée pendant huit ans avant de pouvoir l’acheter.” Elle sort ensuite une série de médailles astrologiques et fantastiques sur lesquelles elle prépare un livre. “La première que j’ai acquise – un ducat à la comète de 1744 – porte au revers l’Épître de saint Paul aux Romains : ‘Qui connaît les desseins de Dieu ?’” Était-ce un signe du destin ?

- Sabine Bourgey, Héritages, tabous et réalités, éditions Horay, 216 p., 99 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : « Le conventionnel m’ennuie »

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