Joséphine Matamoros

Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public.

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 25 mai 2001 - 498 mots

Joséphine Matamoros, conservateur du Musée d’art moderne de Céret, a sélectionné Du simple au double (1993), une œuvre de Toni Grand.

Toni Grand, depuis 1987, a utilisé des poissons, vidés, passés au formol afin de les rigidifier et de les gainer ainsi de résine, pour les utiliser le plus souvent en les intégrant à d’autres éléments, bois ou fer. Ces séries ont fait suite au travail sur bois équarri des années 1970-1980.

Du simple au double – réalisée en 1993 pour le Musée d’art moderne de Céret – est la dernière pièce de cette remarquable série. Elle inaugurait au Musée un espace expérimental destiné à recevoir le travail d’un seul artiste, à travers une pièce unique – une installation ou plusieurs œuvres – afin de permettre aux visiteurs de mieux appréhender l’art contemporain. Après cette réalisation, Toni Grand gardera le silence plusieurs années ; aucun autre travail ne s’annonçait – simplement le vide – besoin de distanciation ? recul ? pause ? se mesurer avec le temps… Jusqu’à cette magnifique pièce présentée ce printemps à la galerie Arlogos à Paris, Génie Superlift Advantage, de 1999.

L’utilisation de poissons dans les années 1980-1993 introduit une dimension spécifique entre la fabrication et la création du travail.Toni Grand utilise des poissons de formes allongées, congres ou anguilles, mous et visqueux, qui échappent au contact ; ils sont ensuite vitrifiés, prisonniers dans une épaisse couche de résine transparente, parfois colorée. La matière vivante parfaitement conservée et emprisonnée dans la transparence de la résine se devine à travers les yeux, l’arête dorsale, la forme de l’animal. Apparaît alors une troublante lecture entre la fragilité de la chair et la dureté de son enveloppe protectrice. Du simple au double est une sculpture composée de 17 éléments cylindriques contenant chacun un congre qui en détermine sa longueur et sa circonférence. L’orientation de chaque cylindre est donnée par la tête du poisson, la disposition dans l’espace est précise et ordonnée par l’artiste, sans aucune place pour le hasard. Chaque pièce repose au sol, orientée et stabilisée par le poids de l’animal. Malgré l’importance des volumes et leur présence, il se dégage une profonde vulnérabilité due à la transparence, à la couleur du matériau et à son instabilité. Si la pièce est effleurée, elle roule et se déplace. Les 17 éléments offrent des espaces creux en leur milieu qui se lisent entre eux et génèrent une complémentarité entre le vide et le plein, amenant ainsi à une nouvelle lecture de la sculpture, totalement abstraite, malgré la forme de l’enveloppe.

Entre la dualité du vide et du plein, de la légèreté et de la pesanteur, de l’opaque et du transparent, l’œuvre prend toute sa dimension non pas dans un espace de transition mais bien entre le dedans et le dehors. Intervient alors une relation au temps et à l’espace qui fait Du simple au double une des pièces maîtresses du travail de Toni Grand des années 1990 et qui amène à une profonde réflexion sur la sculpture contemporaine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Joséphine Matamoros

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