Confédération de talents

À Paris, le Centre culturel suisse expose l’architecture helvète

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 25 mai 2001 - 740 mots

Dans une exposition d’une grande clarté, le Centre culturel suisse présente quinze exemples les plus récents de la production architecturale helvète. Prises de positions radicales et travail raffiné sur les matériaux ordinaires en sont les deux principales caractéristiques.

PARIS - S’il est un pays qui, en matière d’architecture contemporaine, sort du lot en 2001, c’est bien la Suisse. Côté polémique d’abord, avec l’étrange éviction du Prix Mies-van-der-Rohe – rebaptisé cette année “Prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine” – de deux édifices méritant hautement d’être récompensés, le Centre culturel de Lucerne de Jean Nouvel et la Tate Modern à Londres des Helvètes Jacques Herzog et Pierre de Meuron, sous prétexte que... la Suisse n’est pas dans l’Union européenne. Côté satisfecit ensuite, avec ce même duo d’architectes, qui a décroché, le 7 mai dernier, le Pritzker Prize 2001, considéré par beaucoup comme l’équivalent américain du “Nobel” en architecture. L’exposition “Matière d’art, architecture contemporaine en Suisse”, au Centre culturel suisse, permet de comprendre l’originalité de l’exception helvète. Y sont présentés, sur d’élégantes bâches tendues, quinze projets récents (tous à la même échelle ce qui facilite les comparaisons), achevés entre 1997 et 2000, plus un en cours de réalisation. Et quels bâtiments ! Ce qui frappe, de prime abord, c’est leur incroyable présence physique. Pas de délires formels ; au contraire, les volumes sont simples, affirmés, sans compromis. L’important, c’est l’effet qu’ils produisent. Deux slogans, inscrits sur les murs de l’exposition, résument d’ailleurs bien la tendance : “Un bâtiment existe en lui-même, ne représente rien, est, simplement. (...)” (Peter Zumthor). Ou encore: “Dans nos bâtiments, nous ne cherchons pas la signification. Nous sommes absolument anti-représentationnels. La force de nos bâtiments réside dans l’impact viscéral et immédiat qu’ils ont sur le spectateur. (...)” (Jacques Herzog et Pierre de Meuron). On ne saurait être plus clair. Cette série d’édifices donne d’ailleurs de l’architecture suisse d’aujourd’hui une image on ne peut plus radicale.

D’abord, transparaît une quasi-obsession pour la forme de “boîte”. Au pays des coffres-forts, les monolithes sont rois. Ainsi en est-il de l’école de Valerio Olgiati, à Paspels, du magasin Migros de Diener & Diener, à Lucerne, ou encore, du Musée d’art de Vaduz (Morger, Degelo & Kerez). Si les volumes sont simples, les plans le sont également. Celui de la villa Tournier d’Andrea Bassi – benjamin de l’exposition avec ses trente-sept ans –, à Collonge-Bellerive, génère un espace fluide qui invite littéralement l’extérieur à entrer à l’intérieur.

Bois et matériaux réputés ordinaires
Toutes les réalisations ici montrées dévoilent surtout un travail exemplaire sur les matériaux. Notamment le bois, à qui les architectes ont taillé une nouvelle modernité. À preuve, l’école de Conradin Clavuot, à St. Peter, dans les Grisons, construite entièrement en épicéa et en mélèze ; l’école suisse d’ingénieurs du bois, à Bienne, de Marcel Meili et Markus Peter avec Zeno Vogel ; ou le fabuleux pavillon suisse de Peter Zumthor, monté pour l’Exposition universelle de Hanovre, l’an passé : un labyrinthe dont les parois étaient constituées de madriers de mélèze et de pin simplement empilés comme ils le seraient pour le séchage.

Hormis le bois, les Suisses se sont pris de passion pour des matériaux réputés ordinaires (tôle perforée, toile métallique...), dont ils réinventent l’usage. À Appenzell, le Musée Liner (Annette Gigon & Mike Guyer), joyeuse succession de sheds qui fait immédiatement songer à un bâtiment industriel, est intégralement – toit et façades – revêtu d’écailles de tôle d’acier chromé dépoli. Parfois, la matérialité s’avère troublante. Ainsi, la façade de verre de couleur verte de la pharmacie de l’hôpital de Bâle (Jacques Herzog et Pierre de Meuron) qui, au fur et à mesure que l’on s’en approche, laisse glisser le regard à l’intérieur de la peau de l’édifice. L’imprévisible entre alors en jeu, et fait que les bâtiments ne sont plus totalement inertes. Idem lorsqu’ils réagissent aux variations atmosphériques. Soumis à la lumière changeante, les panneaux en polycarbonate de l’entrepôt Ricola (Herzog et de Meuron), à Mulhouse, deviennent tantôt opaques, tantôt transparents, tantôt massifs, tantôt évanescents. Exposée au soleil, à la pluie et au vent, la chapelle Sogn Benedetg (Zumthor), en mélèze, passe progressivement du gris au brun-rouge... Cette dimension sensible, chère à la nouvelle architecture suisse, en est sans doute sa caractéristique la plus singulière. En tout cas, la plus poétique.

- MATIÈRE D’ART, ARCHITECTURE CONTEMPORAINE EN SUISSE, jusqu’au 1er juillet, Centre culturel suisse, 38 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 38 38, du mercredi au dimanche 14h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Confédération de talents

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque