Honnie soit l’image

Une analyse du mouvement iconoclaste à Strasbourg

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2001 - 825 mots

Entre 1520 – date de la publication de l’opuscule de Martin Luther, Sur les bonnes œuvres – et 1620, les images saintes des églises font l’objet, dans plusieurs pays d’Europe, d’actes de destructions méthodiques. S’intéressant plus particulièrement à l’Empire germanique, le Musée de l’Œuvre Notre-Dame, à Strasbourg, réunit plus de 200 œuvres – panneaux peints, sculptures, gravures, vitraux, tapisseries, vêtements liturgiques, pièces d’orfèvrerie – à travers un parcours soigné, qui permet de cerner au mieux le contexte religieux dans lequel a surgi la Réforme.

STRASBOURG - “Tu ne feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas.” Malgré le deuxième commandement de l’Ancien Testament (Exode, 20, 4-6), le culte des images s’est introduit dans le christianisme dès le Ve siècle. Pour l’exposition “Iconoclasme – Vie et mort de l’image médiévale”, le Musée de l’œuvre Notre-Dame a pu obtenir le prêt de La Vierge du jubé (1250), une statue de la cathédrale de Strasbourg, aujourd’hui conservée au Metropolitan Museum of Art de New York. “L’intérêt était de présenter des objets très beaux ou très atypiques”, précise Cécile Dupeux, commissaire de l’exposition et conservatrice du musée. En témoigne la statue du Christ, debout sur des nuages, la main droite levée dans un geste de bénédiction (1500), qui était hissée jusque dans la voûte de l’église lors du rituel de Pâques et du jour de l’Ascension, ou le Crucifix à bras mobiles (1515), réalisé comme une marionnette pour être ensuite mis au tombeau. Sur fond de cimaises rouges se détachent les luxueux objets de culte, telle la chape de l’évêque Aymon de Montfalcon (1500) en soie ornée de brocart d’or, dont la richesse sera fortement critiquée lors de la Réforme. Progressivement, le parcours dévoile les dérives de l’imagerie catholique, des nombreuses inventions du Moyen Âge aux interprétations les plus “suspectes”. Le retable dans lequel le cardinal Albrecht von Brandenburg s’est fait portraiturer en saint Martin, accompagné de sa concubine en sainte Ursule (!), la miniature (XVe siècle) représentant une sœur dominicaine recevant dans ses bras le Christ ensanglanté ou la statuette de l’enfant Jésus (début XVIe) avec laquelle les nonnes jouaient à la poupée, semblent ainsi plus profanes que sacrés. Cette ambiguïté atteint son paroxysme avec la Trinité tricéphale (1500), sorte de monstre à quatre yeux, et la Vierge ouvrante de la chapelle Saint-Michel (1360), statue qui s’ouvre depuis le cou jusqu’au pied pour laisser apparaître sur les vantaux deux anges funéraires peints de part et d’autre d’un nimbe crucifère, deux effigies condamnées respectivement par l’évêque de Florence et Jean Gerson, chancelier de la Sorbonne.

Détruire les idoles
Alignés derrière des vitrines, dans un couloir blanc et lumineux – d’une sobriété en rupture totale avec les décors précédents –, les écrits des réformés se succèdent : les textes d’Andreas Bodenstein von Karlstadt, le premier à théoriser les mesures iconoclastes à Wittenberg en 1522, puis de Ludwig Hätzer, définissant le mouvement comme l’expression de la volonté divine, suivi de ceux d’Ulrich Zwingli qui a appelé à la destruction des idoles et de Luther, plus modérés. Un pamphlet satirique catholique (1525-1527) offre une autre vision de l’iconoclasme, perçu cette fois comme un attentat sacrilège. Les gravures sur bois y dévoilent des personnages en train de saccager une église, détruisant à coup de hache l’autel, la chaire et les figures saintes. Les sculptures du charnier de Berne, découvert en 1986, portent toutes les traces de ces actes de destruction : l’archange saint Michel a été totalement mis en morceaux, tandis que les dégâts subis par l’imposante tête d’évêque (1510-1520) ont plus probablement été causés par la chute du socle dans la fosse. Autre monument marqué par l’iconoclasme, le tombeau du prieur Henri de Sévery à Romainmôtier (Lausanne), brisé en plus de mille fragments, a été reconstitué pour l’occasion – les morceaux manquants sont figurés par des dessins blancs sur un voile transparent. Des traces d’impact d’outils s’observent sur les visages des anges, des saints et du Christ. Les yeux des personnages étaient également la cible favorite des iconoclastes lorsqu’ils s’attaquaient aux peintures. Dans la Messe de saint Grégoire (1491) de Seewald, la couche picturale au niveau des yeux a ainsi été soigneusement grattée. D’autres solutions moins radicales ont consisté à changer l’identité des personnages, comme la statue de la Vierge ornant la façade de l’Hôtel de Ville de Bâle, transformée en statue de justice par l’ajout d’une balance dans la main gauche, et l’imposant saint Christophe, en Goliath, paré de ses armes et d’un casque.

- ICONOCLASME – VIE ET MORT DE L’IMAGE MÉDIÉVALE, jusqu’au 26 août, Musée de l’Œuvre Notre-Dame, 3 place du Château, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, tlj sauf lundi, 10h-18h. Catalogue, éditions Somogy, 454 p., 290 F. À cette occasion, le magazine L’Œil a publié un tiré à part, 10 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : Honnie soit l’image

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