Collection

Marais

La thérapie selon Berri

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 13 février 2008 - 648 mots

PARIS

Le collectionneur Claude Berri ouvre un nouvel espace le 21 mars à Paris.

PARIS - L’idée d’un espace a toujours démangé le cinéaste et producteur Claude Berri. De 1991 à 1999, il avait ouvert Renn Espace rue de Lille (Paris-7e), en association pendant les premières années avec Jérôme Seydoux. Il y avait alors montré Robert Ryman, Simon Hantaï ou Daniel Buren. « Cela m’a apporté beaucoup de joie, et beaucoup de problèmes, rappelle-t-il. Et puis, finalement, quelques années après, je ne peux pas m’empêcher de recommencer... » Le collectionneur avait initialement envisagé de reprendre les anciens locaux de la galerie Chantal Crousel, installée rue Quincampoix. Finalement, il se reporte en février 2005 sur un beau lieu sous verrière d’une superficie de 400 m2, situé passage Sainte-Avoye, dans le 3e. Dépressions et maladie retardent de deux ans le réaménagement, conçu par l’architecte Jean Nouvel et réalisé par l’agence Projectiles.
Claude Berri a choisi d’inaugurer cet espace avec une exposition de Gilles Barbier, cofinancée avec la galerie de ce dernier, Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Un événement qui accompagne la publication d’une monographie de l’artiste aux Éditions du Regard. « C’est un appui positif pour moi. Claude a un fichier que je n’ai pas, explique Georges-Philippe Vallois. Je peux toucher d’autres catégories de collectionneurs et de marchands que je ne côtoie pas dans ma galerie. Il agit comme un accélérateur de temps. » Le galeriste et le producteur se partageront le bénéfice sur la vente des pièces coproduites pour l’occasion. « Il y aura des pièces à vendre pour pouvoir réaliser d’autres projets, explique Berri. Je serais très content de pouvoir faire les frais, qui sont importants. Renn était financé par les revenus du cinéma. Mais le cinéma marche moins bien qu’avant. J’ai dû vendre des choses magnifiques que j’avais depuis vingt-cinq ans pour financer ce projet et acheter d’autres artistes comme Paul McCarthy. » Il aurait ainsi récemment cédé de gré à gré un grand tableau de Francis Bacon pour injecter de l’argent dans les travaux.
Les marchands du Marais pourraient-ils s’inquiéter de la concurrence d’un collectionneur, autrefois brièvement associé à la création de la galerie Karsten Greve à Paris ? « Je ne le pense pas, je suis en bons termes avec eux, déclare l’intéressé. Je ne vais pas représenter des artistes ou faire des foires. J’ai quand même été un bon client pour ces galeries. » Berri, qui ne s’est jamais caché de ses reventes, au point de truffer d’anecdotes son Autoportrait publié aux éditions Leo Scheer, n’a pas besoin d’un espace pour cela. En 2005, il avait ainsi cédé via Christie’s un pan de sa collection de photographies.
Qu’il ouvre avec Barbier ou qu’il coproduise la séquence de la « Forêt » dans l’exposition de Loris Gréaud, présentée actuellement au Palais de Tokyo (jusqu’au 27 avril), n’implique pas un tropisme pour les créateurs français. Ce sont les artistes indiens, son nouveau dada, qu’il mettra en avant en mai. En 2006 dans le cadre de « Bombayser de Lille 3000 », il a acheté Dream a Wish-Wish a Dream, grand bidonville d’Hema Upadhyay. L’an dernier, il a craqué devant l’installation With Tinsel and Teeth, Gem and Gem... Get Back, Get Back, to Where you Once Belonged, de Rina Banerjee, exposée chez Nathalie Obadia, à Paris. En octobre, le collectionneur pourrait donner carte blanche à Giuseppe Penone, l’un de ses artistes fétiches. « Pourrait », car l’homme tient à rester maître de ses choix. Ne voulant délivrer ni message ni modèle, il refuse de se contraindre dans un format ou un calendrier. Comprenons bien : cet espace est plus qu’un caprice ou qu’une vitrine. C’est une thérapie. Berri le dit lui-même : « J’en avais besoin, l’art, c’est ma survie, la seule chose qui pouvait me sortir de là. »

ESPACE CLAUDE BERRI, 4, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris, tél. 01 44 54 88 50. Gilles Barbier, 21 mars-10 mai.

Berri collectionneur

L’antre parisien de Claude Berri est à son image : un mélange de retenue et d’excès. Retenue avec les magnifiques Ryman blancs, le Thierry de Cordier noir du salon, les quatre Morandi accrochés dans sa chambre à coucher ou l’émouvante tête en cire de Medardo Rosso. L’excès, il faut le chercher dans les dessins de réagrégation d’Henri Michaux, un cochon tatoué de Wim Delvoye facétieusement posé tel un trophée sur une table. L’ensemble est ponctué d’un très beau Kounellis, de Chillida, de dessins de Picabia et Brauner et de photographies de Molinier ou Bellmer. Pour cet amateur d’Art déco et de design, l’aventure commencera en 1986, alors qu’on vient de lui voler un Tamara de Lempicka. Au début, il la remplace par une autre toile, Madame Boucard, qu’il s’empressera de revendre. Élargissant son champ de vision, grâce notamment au courtier Marc Blondeau, il achètera Jean Dubuffet, Cy Twombly, Ad Reinhardt, Ryman, Lucio Fontana… Sur ce chemin, il rencontre aussi le grand marchand Leo Castelli, auquel il consacrera un documentaire. « C’est un passionné et un compulsif. Il peut acheter sans comprendre ce qu’il achète, il a besoin d’une friction avec l’œuvre, explique Marc Blondeau. Son goût est minimal, mais il n’aime pas les tableaux froids. Le vrai portrait de Claude, ce sont ses tableaux blancs. Il fera des incursions ailleurs, mais il va revenir chez lui pour voir ses Ryman. » Pour le courtier Philippe Ségalot, « Claude est un obsessionnel, qui peut acheter au-dessus de ses moyens. Quand il achète, il faut que ce soit tout de suite au mur. Il a un rapport véritable d’artiste avec l’œuvre. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : La thérapie selon Berri

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