Monographie

Atlan sort de l’oubli

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 13 février 2008 - 580 mots

Deux galeries mettent en avant le parcours artistique de poètes solitaires.

PARIS - Le marché a souvent pour effet pervers de dénaturer le regard sur certains créateurs. Fauché en 1960 à l’âge de 47 ans, Jean-Michel Atlan a ainsi souffert à la fois d’une absence de la sphère muséale et d’une abondance de pièces moyennes dans le négoce. Aussi la sélection des dix-huit œuvres présentées par la galerie Jacques Elbaz a-t-elle le grand mérite de nettoyer les pupilles et balayer les idées reçues. Car voilà bien ce que cet artiste, venu à la peinture par la poésie, n’a cessé de fuir dans sa vie de météorite : l’enfermement dans une chapelle, qu’elle soit celle de l’abstraction parisienne d’après guerre ou du courant CoBrA, lequel cherchera à le happer. « J’ai écrit quelque part un jour que mes formes n’avaient pas de passeport, pas de papiers d’identité, observait ce peintre originaire de Constantine, en Algérie. Elles ne sont ni abstraites, ni figuratives ; elles se contentent d’exister avec une violence intolérable pour bien des amateurs bourgeois. Ceux-là mêmes dont parlait Gauguin, qui réclament dans l’art l’“originalité” et qui se sauvent dès qu’ils aperçoivent une œuvre et une vision vraiment originales. »
À comparer ses peintures et ses détrempes, le regard est frappé par la différence du geste, fulgurant dans les dessins, plus retenu à première vue dans les tableaux. Or, dans les deux cas, la main est sûre, rapide, la composition sans préparation. Les formes dansantes ou guerrières, les signes primitifs teintés de magie, comme dans Zénith de 1958, rappellent aussi le bestiaire d’un Wifredo Lam. Dans cet enchevêtrement très maîtrisé de formes quasi organiques, comme autant de lianes ou de ligaments, des figures pointent, mais restent équivoques. Ainsi est-il difficile de savoir si ce tableau de 1954 dépeint un poisson mort, tête-bêche, ou une gueule carnassière.

Art et danse
L’année 1957 marque visiblement une charnière. Les fonds s’animent, venant tour à tour appuyer ou contredire la tension des lignes. Ce phénomène s’observe dans Rhapsodie Gitane (1958). Traité dans une vibration grège aussi douce qu’une musique de chambre, l’arrière-plan semble étranger aux torsions centrales. Le titre n’est pas anodin : l’artiste aura souvent établi un parallèle avec la danse. Mais dans cette chorégraphie, on perçoit aujourd’hui davantage le chuchotement que le cri, une incantation mezzo voce plus que la « force barbare » qu’évoquait l’artiste. Peut-être parce que d’autres « barbares » l’ont éclipsé entre-temps.
De son vivant, cet artiste farouchement indépendant fut coté et apprécié. Le petit cabinet de documents venant clore l’exposition égrène des affiches d’expositions monographiques organisées par Denise René ou la Galerie Maeght, à Paris. Pourquoi, après un succès foudroyant, Atlan est-il tombé dans l’oubli ? « Son dernier marchand, Henri Bing, meurt en 1960, et après, en dépit d’une exposition en 1963 au Musée national d’art moderne, il n’y a quasiment plus rien, un black-out, indique Jacques Elbaz. L’histoire ne sort de ses tiroirs que ce dont elle a besoin, quand elle en a besoin. » A-
t-elle besoin d’Atlan ? La réponse sera donnée en juin prochain, lors de l’accrochage au Centre Pompidou de la dation de sept œuvres et treize dessins du peintre.

ATLAN, jusqu’au 10 mars, galerie Jacques Elbaz, 1, rue d’Alger, 75001 Paris, tél. 01 40 20 98 07, tlj sauf dimanche 10h30-12h30 et 14h-18h30.

HENRI MICHAUX, jusqu’au 1er mars, galerie Thessa Herold, 7, rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 42 78 78 68 www.thessa-herold.com, du mardi au vendredi14h-18h30, le samedi 11h-18h30.

Michaux inégal

Depuis une gouache sur fond bleu rarissime de 1937, jusqu’aux peintures malhabiles des années 1980, c’est un large panorama du poète Henri Michaux que propose la galerie Thessa Herold, à Paris. Réalisés sous l’emprise de drogues hallucinogènes, deux dessins mescaliniens de 1955 et 1958 constituent le clou de l’accrochage. Le tremblement de l’un fait penser à des relevés sismiques. Le second, plus construit, évoque une succession de molécules chevillées entre elles. Deux autres dessins, dit de « réagrégation », leur font écho. Cousins des mescaliniens, ils s’en distinguent par une écriture plus dense et un maillage serré des lignes. Ce besoin pressant de mouvement qui semble animer Michaux s’épanouit dans les encres. Dans un grand format de 1954, le spectateur croit assister au combat à mort de deux dragons, gorgés d’encre noire. Dans les séries suivantes, les tâches se muent en signes grouillants, à mi-chemin entre la calligraphie extrême-orientale et les coulures d’un Pollock. Il est regrettable que ce geste léger et inventif s’embourbe vers la fin dans une peinture laborieuse. Tout aussi inutiles, ses visages noyés dans des flaques d’aquarelle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Atlan sort de l’oubli

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